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Manières de Langage (1396, 1399, 1415)

Edited by A.M. Kristol
London, Anglo-Norman Text Society 1995
Genre: Language Pedagogy
AND Bibliography: Man lang ANTS

Original work © 1995 The Anglo Norman Text Society, which has granted permission for it to be digitised, browsed and searched on this site. Any other use, including making copies of this electronic version, requires the prior written permission of the copyright holders, who may be contacted via Birkbeck College, University of London, Malet St, London WC1E 7HX, UK

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MANUSCRITS ET SIGLES UTILISES

Les trois Manières de langage connues sont conservées dans 10 manuscrits dont la plupart se présentent comme des collections de matériaux pour l'enseignement du français. Tous les manuscrits sont pratiquement contemporains (après 1396-1450 au plus tard) 1 [1] Pour plus de précisions au sujet ces manuscrits, voir Kristol 1990.xiii

Cambridge Trinity College B 14.39/40 (CT)

ff. 149r-154v Manière de langage de 1415 (famille C). Voir pp. 67-79.
ff. 179r-180v Manière de langage de 1396, fragment Le mari battu, cocu et content. (Meyer 1903, 59-62).

Cambridge Univ. Lib. Add. 8870 (CA)

ff. 34r-35r Manière de langage de 1399, fragment. (Baker 1989).

Cambridge Univ. Lib. Dd 12.23 (CD)

ff. 7v-13r Manière de langage de 1415 (famille D). (Merrilees&Sitarz; 1992)
ff. 67v-87r Manière de langage de 1396 (famille B). Voir pp. 3-36.

Cambridge Univ. Lib. Ii 6.17 (CI)

ff. 100v-106v Manière de langage de 1399, fragment bilingue. (Södergård 1953).

Lincoln, Lincolnshire Archives Office, Formulary Book 23 (LL)

ff. 17r-17v Manière de langage de 1399, fragment bilingue. (Kristol 1992).

London BL Addit. 17716 (LA)

ff. 101v-106r Manière de langage de 1415, famille C.
ff. 106r-111v Manière de langage de 1396, famille B.

London BL Harley 3988 (LH)

ff. 1r-26r Manière de langage de 1396, famille A. (Meyer 1870, Gessler 1934).

Oxford All Souls College 182 (OA)

ff. 305ra-316ra, 372ra-373ra Manière de langage de 1396, famille A.
ff. 321va-326va Manière de langage de 1399. Voir pp. 49-66.

Oxford Bodleian Lat. misc. e. 93 (OB)

ff. 1r-5r Manière de langage de 1415, famille D.

Paris BN Nouv. acq. lat. 699 (PN)

ff. 114-128v Manière de langage de 1396, famille B.

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Wright, W. A., éd. (1909) Femina. Now first printed from a unique ms. in the Library of Trinity College, Cambridge, Cambridge

INTRODUCTION

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LA MANIÈRE DE 1396

A. GÉNÉRALITÉS, TRADITION MANUSCRITE, ANALYSE DU CONTENU

La Manière de 1396 a été publiée deux fois jusqu'ici, par Meyer (1870) et Gessler (1934). Malgré cela, il n'est pas inutile de rééditer ce manuel, car il nous est parvenu dans deux familles de manuscrits que

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nous appellerons A et B, qui se distinguent sur de nombreux points. Comme Meyer et Gessler ont publié le même ms. (LH, famille A), 2 [2] H. Fukui (1993: 149-57) vient de publier un fragment du ms. OA (famille A). Sa lecture est pourtant souvent très fautive (cf. nos notes 24.29, 25.6, 25.21 et 36.4-19).xxii le texte de B est resté pratiquement inconnu; quelques extraits cités par Gessler ne laissent pas assez transparaître l'originalité des manuscrits de la famille B.

La famille A est représentée par les mss. LH et OA. Ces deux mss., à la fin du texte, contiennent une dédicace que l'auteur a adressée à son mécène; dans LH, celle-ci est datée de Bury St. Edmunds, à la veille de Pentecôte 1396 (45.32). Cette dédicace manque dans les manuscrits de la famille B. LH et OA représentent donc sans doute la version la plus proche de l'original; on comprend que les éditeurs, dans la logique philologique habituelle, se soient concentrés sur LH qui contient la meilleure version du texte (dans OA, les leçons de vocabulaire sont moins développées que dans LH).

Malgré la dédicace, l'auteur et le destinataire du manuel n'ont pas pu être identifiés. Tout au plus, on y apprend que l'auteur est un Anglais qui a appris le français (ou qui s'est perfectionné) pendant un séjour sur le Continent: a mon escient je l'ai traitee et compilee sicomme j'ay entendu et apris es parties dela le mer (45.16-17); ce fait explique peut-être pourquoi LH contient un nombre assez élevé de picardismes. Certaines attitudes anti-féministes affleurant ça et là dans le texte, la prédication adressée à un malade (30.10 - 31.25), ainsi que la prière finale (36.13-19) laissent supposer qu'il était ecclésiastique. Quant au destinataire, certains indices sur son statut social se dégagent du texte rédigé à son intention: il s'agissait soit d'un aristocrate, soit d'un bourgeois aisé. Il devait sans doute déjà avoir des connaissances de français; la Manière de 1396 n'est pas un livre pour débutants, mais plutôt un manuel de perfectionnement.

Les manuscrits de la famille B sont au nombre de trois: CD, PN et LA. Un fragment de B se trouve également dans CT. B présente une version remaniée et parfois considérablement enrichie de la Manière de 1396.

Les deux familles de manuscrits se distinguent probablement en fonction du public auquel elles s'adressent: A représente la version primitive destinée à un lecteur individuel, B illustre l'usage qui a été fait de ce manuel dans l'enseignement du français pour un public

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plus large. Dans la version scolaire, la lettre adressée au mécène n'avait évidemment plus de place. Malheureusement, il est impossible de déterminer si le remaniement est dû à l'auteur même du manuel, ou à un autre professeur, après lui.

D'un point de vue linguistique et didactique, CD, qui enrichit considérablement les leçons de vocabulaire, contient la version la plus intéressante de B. Dans les scènes communes à CD, LA et PN, le nombre de variantes dans le contenu est petit, mais CD présente en général le texte le plus complet. (PN, par contre, contient un plus grand nombre de gloses anglaises.) Enfin, CD contient plusieurs dialogues inconnus jusqu'ici, que le remanieur a composés lui-même ou qu'il a puisés à d'autres sources (cf. infra). Nous publions donc ici la version de CD qui présente un texte nouveau, aux antipodes de LH, et qui permet de mieux cerner certains courants de l'enseignement du français en Angleterre vers la fin du moyen âge.

Les différents manuscrits de la Manière de 1396 ne proposent pas de titre commun. LA et OA la nomment manière de language dans l'incipit; PN tretis de douls franceis. CD et LA utilisent également tretis dans leur incipit; CD enfin l'appelle commune parlance dans l'explicit. Il serait donc légitime de nommer Commune parlance le texte de CD que nous publions ici. Nous parlerons pourtant toujours de Manière de 1396 pour évoquer toutes les versions de ce manuel.

Tous les manuscrits débutent par une importante partie commune (cf. tableau no 1, scènes 1-4). Cette pièce de résistance a été complétée ensuite par une série de dialogues moins longs, qui ne présentent pas la même homogénéité de l'action et des personnages mis en scène. L'auteur et/ou différents remanieurs semblent avoir ajouté ces dialogues pour couvrir d'autres besoins spécifiques de leur(s) élève(s). Toutes ces scènes ne correspondent pas forcément aux intérêts du premier destinataire du manuel.

Les divergences entre les deux familles commencent pourtant dès la première partie. Les innovations de B concernent surtout trois passages. Dans la scène 4.2, le repas qui précède le départ en voyage sert de prétexte à une longue énumération d'oiseaux qui manque dans A. Dans la scène 4.6, le domestique ne fait pas les mêmes achats pour le repas du soir de son maître: dans A, il achète de la volaille, et à son retour à l'auberge, il la prépare lui-même; dans B, il achète du poisson et le confie au cuisinier de l'auberge (dans A, l'énumération des poissons se trouve dans la scène 4.8). La plus grande divergence entre

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Tableau no 1: Contenu des différents manuscrits de la Manière de 1396.

A B
1 Introduction. LH OA CD PN LA
2 Le corps humain. LH OA CD PN LA
3 L'aménagement d'une maison. LH OA CD PN LA
4 Partir en voyage.
4.1 Les préparatifs de voyage. LH OA CD PN LA
4.2. Le repas d'adieu; viandes, volaille; LH OA CD PN LA
énumération d'oiseaux. CD PN LA
4.3. En route; comment demander le chemin. LH OA CD PN LA
4.4. Chanson d'amour / chanson à boire. LH OA CD PN LA
4.5. Le serviteur à l'auberge. LH OA CD PN LA
4.6. a) Au marché; la volaille. LH OA
b) Au marché; les poissons. CD PN LA
4.7. a) La nuit à l'auberge; aventure galante. LH OA
b) La soirée à l'auberge; récit: Le mari battu, cocu et content CD PN LA CT
4.8. Le petit déjeuner; les poissons; le départ. LH OA
5 Le cultivateur et le laboureur. LH OA CD
6 Le boulanger et son apprenti. LH OA CD
7 Le drapier et son apprenti; scène de marché. LH OA CD
8 Chez le ravaudeur. LH OA CD
9 Les deux valets d'écurie. LH OA CD
10 Différentes salutations; demander des nouvelles. LH OA CD
11 Consoler un enfant. LH OA CD
12 Econduire un mendiant. LH OA CD
13 Deux compagnons à l'auberge (première partie) CD
14 Dialogues entre commerçants. CD
15 Demander l'heure et le chemin. CD
16 Demander une chambre à l'auberge. CD
17 Recourir aux services d'un clerc. CD
18 Activités d'un messager. LH OA CD PN
19 Différentes salutations en fonction de l'heure. CD PN
20 Dialogue avec un malade; l'exemple de Job LH OA CD PN
21 Dialogue avec un voyageur français. LH OA CD PN
22 L'embauche d'un couturier. CD
23 Deux compagnons à l'auberge (première partie). LH OA PN
23 Deux compagnons à l'auberge (deuxième partie). LH OA CD PN
24 Lettre de l'auteur à son mécène. LH OA

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A et B concerne le déroulement de la soirée passée à l'auberge (scène 4.7). A relate une sorte d'aventure galante, au cours de laquelle le voyageur se marie [sic] pour une nuit avec une servante de l'auberge. Dans B, cette scène est remplacée par la nouvelle Le mari battu, cocu et content, récit analogue à la 7e nouvelle de la 7e journée du Decamerone de Boccace. La substitution de la soirée galante de A par ce texte également plutôt frivole n'est certainement pas le résultat d'une épuration morale du manuel par le remanieur en vue de son public scolaire. Par contre, d'un point de vue didactique, l'ajout de ce texte narratif présente des avantages considérables, car il enrichit l'éventail des structures linguistiques enseignées. Alors que les parties dialoguées du manuel ne reflètent que les formes de la communication orale, ce récit de type littéraire permet d'introduire une série de ressources syntaxiques du code écrit. Cela concerne surtout l'emploi du passé simple (qui est rare dans les dialogues), mais aussi le fonctionnement de l'incise ou encore une série de conjonctions qui se rencontreraient difficilement dans l'oralité spontanée.

Les chapitres 5 à 12 sont communs à LH, OA (famille A) et CD (famille B), mais manquent dans PN. 13 à 17, ainsi que 22, constituent une originalité de CD (cf. infra). A partir de 18, PN rejoint de nouveau le peloton; la fin du manuel est plus ou moins commune aux quatre mss. Dans LH, la scène 21 a pourtant un autre statut; elle a été ajoutée après coup, plusieurs pages après la fin du texte. En effet, après la dédicace de l'auteur, l'écriture et l'encre changent. 21 ne fait donc pas partie du corpus initial.

Une analyse des petites divergences entre les mss. permet de préciser encore leur degré de parenté. Tous contiennent une scène 4.4. Chanson d'amour. Celle-ci est pourtant différente dans LH; OA va avec la famille B. Pour une série de détails, par contre, PN se range avec la famille A. Ainsi, l'introduction ressemble à celle de LH/OA; en outre, PN, LH et OA contiennent une seule scène 23; dans CD, cette scène est scindée en deux (scènes 16 et 23). On retiendra donc que LH est le représentant le plus caractéristique de la famille A; CD est le meilleur représentant de B. OA et PN se placent entre ces deux pôles extrêmes. LA, enfin, contient un texte abrégé proche de CD. Notre stemma symbolise ce constat:

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Les passages propres à CD proviennent de différentes sources.

– Pour l'énumération des parties du corps (scène 2) et d'autres listes lexicales, le rédacteur semble avoir puisé dans la Manière de 1415 (cf. pp. 77-78). Comme ces passages remontent à leur tour au Tretiz de Bibbesworth, un emprunt direct au Tretiz ne peut pourtant pas être exclu.

– La lettre 341 des Lettres et pétitions (Legge 1941, ms. OA) contient une liste d'oiseaux pratiquement identique à celle de la scène 4.2 de CD. En outre, cette lettre contient une énumération d'animaux domestiques qui ressemble à celle de notre scène 20. Les rapports entre cette lettre et CD sont pourtant difficiles à établir. Nous ne savons pas si une lettre de ce type a servi de modèle aux énumérations de CD ou si la lettre a été rédigée par un clerc qui a été formé sur la base d'un texte proche de CD. En tout cas, l'existence de cette lettre montre que de telles listes correspondaient à un réel besoin dans la formation des clercs.

– Trois des scènes de CD qui manquent dans les autres mss. (14, 15 et 16), proviennent de la tradition de la Manière de 1399 et correspondent aux scènes 5.1, 6.1, 7.2 et 8.2 du ms. OA (cf. p. xxvi). Elles ne peuvent pourtant pas remonter directement à OA et ont subi un léger remaniement, qui les intègre parfaitement dans le texte de la Manière de 1396.

– Deux scènes (17 et 22) ne reposent sur aucune source connue. Elles pourraient également provenir d'une version perdue de la Manière de 1399 ou alors avoir été ajoutées par un dernier remanieur du texte.

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4. La Manière de 1399

A. GÉNÉRALITÉS, TRADITION MANUSCRITE, ANALYSE DU CONTENU

La Manière de langage de 1399 a été éditée pour la première fois par Stengel (1879) sur la base d'OA, seul manuscrit à peu près complet de ce manuel. Elle doit son titre traditionnel Un petit livre à l'incipit d'OA: Cy comence un petit livre pour enseigner les enfantz de leur entreparler comun françois. A notre avis, ce titre se rapporte uniquement au nominale placé au début de ce texte, 6 [6] Chez Stengel le texte du nominale est incomplet.xxxiii qui est étranger à la tradition des Manières de langage. Comme le montre aussi la Manière de 1415, c'est effectivement le vocabulaire qui était enseigné aux enfants, alors que le genre dialogues modèles s'adressait à un public plus âgé.

Mis à part la version d'OA, on connaît pour l'instant quatre fragments de ce texte: la Manière de parler du ms. CI (Södergård 1953), 7 [7] Södergård ne semble pas avoir vu que son texte n'était qu'un fragment de la Manière de 1399. Il est vrai que le texte de CI est légèrement remanié.xxxiii un fragment contenu dans CA (Baker 1989: 98-102), un court passage contenu dans LL (Kristol 1990/91), ainsi que les quelques fragments intégrés dans la Manière de 1396 (selon CD; cf. les scènes 14, 15 et 16 de cette édition).

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Dans la version OA, en dehors du nominale, la Manière de 1399 se présente comme une collection de petites scènes dans lesquelles les formules de salutation ainsi que les scènes d'auberge et de marché pour voyageurs et commerçants se taillent la part du lion (cf. tableau no 2). Par rapport à la Manière de 1396, la matière enseignée est beaucoup moins riche: le choix des sujets est limité et la teneur grammaticale est mince. Les paradigmes verbaux sont peu développés; les verbes irréguliers sont rares et la plupart des temps verbaux ne sont pas employés. Rédigés dans une langue très simple, la plupart des dialogues sont parfaitement anodins, atemporels et sans référence à un lieu précis; parmi les trois Manières de langage connues, c'est celle qui se prête le mieux à l'enseignement élémentaire.

Le Petit livre d'OA n'est pas un manuel homogène, mais une compilation de dialogues divers ne provenant pas forcément d'une seule source. 8 [8] En dehors du Petit livre, OA contient une version de la Manière de 1396 (famille A), une copie du Tretiz de Bibbesworth et plusieurs traités de grammaire dont le Donait francois de John Barton et le Tractatus ortographie de Coyfurelly. Ce ms. est donc le fruit d'une volonté délibérée de collectionner des textes didactiques.xxxiv Il se compose d'une série de chapitres intitulés de façon stéréotypée Autre manière de langage, dont le contenu est plutôt répétitif. Souvent, ces chapitres rassemblent à leur tour plusieurs scènes qui s'articulent autour d'un même sujet, comme différentes versions d'un même projet. Le texte d'OA ressemble donc au classeur d'un professeur qui a rassemblé ses brouillons. Ajoutons que les habitudes orthographiques du copiste ne sont pas constantes. On observe une rupture entre le nominale et le reste du texte: dans le nominale, les graphies anglo-normandes sont nettement plus fréquentes que dans les dialogues. D'un point de vue stylistique, le manuel est également hétérogène: à côté d'une majorité de textes de type élémentaire, on y trouve quelques dialogues assez complexes qui doivent provenir d'une source à part ou qui ont été ajoutés par le dernier rédacteur.

Si la localisation du manuel en Angleterre ne fait aucun doute, la datation traditionnelle de la Manière de 1399 ne tient qu'à un fil: le dernier épisode de la collection – qui pourrait bien avoir été ajouté par le dernier rédacteur – fait allusion à la destitution de Richard II. La version d'OA doit donc être considéré comme une collection de matériaux didactiques plus anciens, qui a simplement été actualisée

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Tableau no 2: Composition de la Manière de 1399 9 [9] Les titres de la première colonne de ce tableau correspondent aux chapitres du ms. OA. L'ordre des différentes scènes est également celui de OA.xxxv

chapitre scène manuscrit
1. Cy comence un petit livre… 1.1. L'année ecclésiastique OA
(nominale) 1.2. Les numéraux, monnaies OA
1.3. Etres humains, animaux OA
1.4. Habits, etc. OA
1.5. Le corps humain OA
1.6. Objets divers; adjectifs, pronoms, adverbes
OA
2. Aultre manier de language 2.1. Salutations; l'heure; le chemin. OA CA CI
pour demander le droit 2.2. Sur le chemin de Windsor. OA CA CI
chemin. 2.3. En route pour Canterbury. OA
3. Autre manier de language a 3.1. Injures et insultes. OA
parler des bourdeus et de trufes 3.2. Conter fleurette à une demoiselle. OA
et tensons. 3.3. Autres insultes. OA
4. Aultre maniere de language 4.1. Parler à une dame. OA CA
pour parler aus dames et aus damoiselles. 4.2. Faire la cour. OA CA
5. Or parlerons en aultre maniere. 5.1. Dialogue à l'auberge. OA LL CD CI
6. Aultre manier de language 6.1. Dialogue à l'auberge. OA CA CD
pour parler pour hostiel. 6.2. Autre dialogue à l'auberge. OA CI
7. Aultre manier de language 7.1. Formules de salutation. OA CI
pour saluer les bons gens. 7.2. Porter un message. OA LL CD
7.3. Autres formules de salutation. OA
7.4. Demander des nouvelles et
des renseignements. OA CA
8. Aultre maniere de language 8.1. Au marché. OA CA
pour achetre et vendre. 8.2. Autre scène de marché. OA CA CD CI
9. Encore un aultre maniere de language. 9.1. Dialogue entre maître et domestique.
OA
10. Or pour saluer les bonnes gens. 10.1. Formules de salutation; porter un message.
OA
11. Encore en aultre maniere a parler aus bonnes gens. 11.1. Formules de salutation et de politesse
OA
11.2. Politique contemporaine; nou­vel­les de Paris.
OA

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en 1399 par l'ajout du nominale et par certaines scènes dont l'une se réfère aux derniers événements politiques. Malgré cela, nous continuerons à appeler l'ensemble de cette tradition Manière de 1399.

Ce constat qui repose sur l'évidence interne du Petit livre est confirmé par l'examen des autres fragments de la Manière de 1399, dont aucun ne peut remonter à OA ou à un modèle antérieur commun. Chaque ms. contient des particularités qui excluent une filiation directe. Aussi courts qu'ils soient, ces fragments permettent de combler une série de lacunes manifestes d'OA; en outre, l'ordre dans lequel les passages communs y apparaissent diverge. 10 [10] Voici l'ordre des scènes dans les différents fragments de la Manière de 1399 (la numérotation est celle que nous avons introduite pour OA): ms. CA: 4.1. - 4.2. - 2.1. - 2.2. - 6.1. - 8.1. - 8.2. - 7.4. ms. CD: 8.2. - 6.1. - 7.2. - 5.1. ms. CI: 2.2. - 5.1. - 2.1. - 5.1. - 8.2. - 6.2. - 7.1. ms. LL: 7.2. - 5.1. xxxviEnfin, tous les dialogues un peu plus difficiles d'OA manquent dans les autres manuscrits. Les différents fragments représentent nécessairement une source d'une nature différente du Petit livre.

Tableau no 3: La tradition de la Manière de 1399

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Les différentes versions de la Manière de 1399 se classent en deux groupes. Trois mss. (OA, CA et CD) ne donnent qu'un texte français. CA semble pourtant copier un modèle qui possédait une traduction interlinéaire en anglais; une ligne du texte (Baker 1989: 99, l. 51) est précédée d'une traduction anglaise. LL et CI donnent une traduction intégrale en anglais. LL et CI sont pourtant indépendants dans leur contenu; les scènes qu'ils contiennent ne coïncident qu'en partie. 11 [11] Ni le texte français ni les versions anglaises ne permettent de déterminer si LL et CI remontent à une source commune. Les dialogues sont si simples que n'importe quel exercice de traduction est susceptible de produire des résultats pratiquement identiques. Il se peut que LL et CI représentent simplement des corrigés d'exercices scolaires.xl Parmi les différentes versions, c'est surtout celle de CD qui apparaît comme un véritable remaniement des matériaux appartenant à la tradition de la Manière de 1399: le texte de base de CD (la Manière de 1396) a été complété par des scènes provenant de la Manière de 1399. Or, ces passages n'ont pas été simplement recopiés; le rédacteur les a intégrés dans des contextes plus larges et enrichis par l'esquisse d'une situation d'énonciation. Ils montrent ainsi comment les professeurs de l'époque utilisaient librement les matériaux antérieurs pour enrichir leur enseignement.

Les cinq manuscrits de la Manière de 1399 constituent donc différents vestiges d'une tradition antérieure au Petit livre, à savoir une ou plusieurs collections (perdues) de dialogues pour l'enseignement élémentaire du français. Nous symbolisons ce constat au tableau no 3.

Mis à part CI qu'on a situé jusqu'ici vers la fin du XVe s., mais qu'il faut probablement antédater (cf. Kristol 1990/91), tous les mss. de la Manière de 1399 sont pratiquement contemporains. Les traductions interlinéaires de LL et CI attestent ainsi l'apparition d'une nouvelle tendance dans l'enseignement du français en Angleterre vers le début du XVe s.: à un moment où le substrat linguistique anglo-normand s'efface de plus en plus, la méthode directe, monolingue, qui est encore celle de la Manière de 1396 (et celle de la version OA de la Manière de 1399), semble désormais concurrencée par un enseignement qui s'appuie davantage sur la traduction. 12 [12] Le ms. CT du Tretiz de Bibbesworth (Femina, éd. Wright 1909, postérieur à 1415) présente un cas analogue. Cela ne signifie pourtant pas que le recours à la traduction reflète la méthode didactique dominante. Ainsi, la Manière de 1415 est encore entièrement monolingue et atteste d'autres méthodes de l'enseignement élémentaire (cf. infra).xl Dans le cas de la Manière de 1399, ce sont surtout les dialogues les plus élémentaires qui semblent avoir servi à des exercices de traduction.

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5

LA MANIÈRE DE 1415

A. GÉNÉRALITÉS, TRADITION MANUSCRITE, ANALYSE DU CONTENU

La Manière de langage de 1415 a été publiée pour la première fois par Meyer (1903) sur la base de CT. Une nouvelle édition de ce manuel, basée sur CD, vient d'être publiée par Merrilees/Sitarz (1993). En outre, la Manière de 1415 est conservée dans LA et OB.

La Manière de 1415 a probablement été rédigée vers la fin de 1415 ou peu après par le professeur oxonien William of Kingsmill, dont l'activité est attestée dans la première moitié du XVe s.; Kingsmill a signé son ouvrage en faisant de la publicité pour son école dans la dernière scène du manuel. 15 [15] Le nom complet de l'auteur avec son surnom n'est mentionné que dans CT: Will. Kyngesmylle Escriven (76.27). LA se limite aux initiales W. K.; CD et OB l'appellent Gilliam Scrivener.xli La datation repose sur le fait que, dans un grand chapitre au début du texte, le texte évoque les événements politiques de 1415.

Dans CD, CT et LA, le manuel est accompagné d'une collection hétérogène d'éléments grammaticaux et lexicaux qui varient légèrement d'un ms. à l'autre. Ces matériaux comprennent le traité d'orthographe de T.H. (fin XIIIe s.; Pope 1910), un traité de morphologie pronominale et verbale et une liste de vocabulaire. En outre, on y trouve une ars dictaminis en français et des documents juridiques modèles reprenant des matériaux élaborés au XIVe siècle dans l'école

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de Thomas Sampson. 16 [16] Il est possible que Kingsmill soit l'héritier direct de Thomas Sampson, dont il aurait repris l'école. Au sujet de Th. Sampson, voir surtout Arnold 1937.xlii Legge (1939: 241-43) a sans doute raison de penser que tous ces éléments faisaient partie de l'enseignement dispensé par W. of Kingsmill, ce dernier utilisant surtout des matériaux rédigés pendant les siècles précédents. 17 [17] Mis à part ses cours de langue, Kingsmill devait aussi proposer un cours de perfectionnement professionnel s'adressant à des apprentis notaires, clercs et secrétaires de maison. Une partie importante des matériaux émanant de son école est en latin.xlii En fait, la Manière de 1415 est probablement le seul texte qu'il ait écrit lui-même.

A la fin de CD, on lit Explicit liber Donati. Nous éviterions pourtant de nous servir de cet explicit pour forger le titre du manuel: il serait inapproprié de rapprocher ces matériaux disparates du Donait, première véritable grammaire française rédigée en Angleterre à la même époque par John Barton (Städtler 1988). Comme les différents mss. ne contiennent aucune autre indication susceptible de fournir un titre, nous nommerons le manuel d'après la date présumée de sa composition.

Les quatre mss. de la Manière de 1415 présentent peu de divergences; ils doivent tous suivre l'original de près. Malgré cela, ils se classent en deux groupes. CT et LA localisent les dialogues à Oxford. CD et OB situent l'action à Londres, au prix d'une adaptation plutôt maladroite (cf. les notes 71.4, 75.30 et 76.15). La raison de cette adaptation est inconnue. Il est pourtant certain que CT et LA sont plus proches de l'original.

Comme base de notre édition, nous avons choisi CT, comme Meyer (1903), bien que, d'un point de vue philologique, CT ne soit pas un manuscrit idéal. Il n'est pas sûr que le copiste ait toujours compris le texte; CT contient plusieurs passages obscurs pour lesquels les autres mss. présentent de meilleures leçons, souvent concordantes. En particulier, une publication de LA ne manquerait pas d'intérêt: parmi les quatre mss., c'est celui qui représente le mieux les graphies de l'anglo-normand tardif, qui sont également celles du Law French.

Les avantages de CT sont d'une autre nature. CT est seul à transmettre le nom complet de l'auteur. Il contient la meilleure version de la scène 5, spécimen de l'enseignement élémentaire dispensé à l'école de Kingsmill; en particulier, il conserve mieux que les autres mss. la forme versifiée des leçons de vocabulaire de cette scène et permet ainsi d'en retrouver les sources. Ce qui fait enfin l'intérêt de

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CT, c'est son système de mise en relief: le copiste a marqué d'un trait à l'encre rouge certains mots qu'il devait juger importants. En outre, il s'est servi de ces marques rouges pour créer une sorte de ponctuation dans un manuscrit qui, sinon, en est complètement dépourvu. Il indique ainsi un grand nombre de coupures syntaxiques et signale les changements de locuteur à l'intérieur des dialogues. (CD et OB font de même, mais de manière moins systématique. LA est monochrome.) CT permet ainsi de voir à quel locuteur le copiste a attribué les marqueurs de structuration se trouvant à la charnière entre deux interventions, ce qui fournit de précieuses informations sur le fonctionnement du dialogue dans la langue du XVe s.

Dans le passage suivant (71.3-5), l'emploi des deux couleurs montre que, pour le copiste, la formule de confirmation verement clôt le deuxième tour de parole, alors que, dans un manuscrit dépourvu de ponctuation, on aurait pu penser qu'elle commencerait la troisième phrase: 18 [18] Les lettres marquées de rouge dans le ms. sont rendues par des caractères gras. L'exemple pourrait suggérer que CT marque toujours Sire d'un trait rouge. En réalité, quand un autre marqueur (Ore, Donques) commence un tour de parole, c'est celui-ci qui est marqué. (Pour d'autres exemples, cf. les notes 69.26, 71.11, 72.6 et 73.8.)xliii

Sire, que l'apellez la prochyin ville?

Sire, l'apellent Oxone, verement.

Sire, de celle ville j'ay oie parler graunde bien de moult gentz

Parmi les trois Manières de langage, celle de 1415 est la plus homogène quant à sa conception et à l'enchaînement des différentes scènes; elle semble avoir été plus ou moins conçue d'un seul jet. Lorsqu'elle fait des emprunts à des manuels antérieurs, ces éléments sont toujours retravaillés et relativement bien intégrés dans le texte du cours.

Le premier chapitre du manuel présente une série de salutations et de formules élémentaires de politesse, qui présentent peu d'intérêt. La deuxième scène contient le récit des derniers succès militaires anglais dans la Guerre de Cent ans. Ce récit, mis dans la bouche d'un voyageur qui revient de France, reflète un besoin communicatif essentiel de l'époque: tout voyageur est censé apporter des nouvelles du pays dont il vient. Le texte fournit un modèle de narration orale et certaines expressions indispensables à la mise en scène et à l'authentification de l'information transmise: j'ay oye dyre; vous dy pur certeyn. D'un point de vue grammatical, cette scène permet

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Tableau no 4: La composition de la Manière de 1415

Scènes C D
1 Salutations; comportement social élémentaire. CT LA CD OB
2 La bataille d'Azincourt. CT LA CD OB
3 a) En route pour Oxford. CT LA
b) En route pour Londres. CD OB
4 Dialogues à l'auberge.
4.1. Dialogue avec l'aubergiste. CT LA CD OB
4.2. Dialogue avec la patronne. CT LA CD OB
4.3. Prendre soin des chevaux. CT LA CD OB
4.4. Demander l'addition; dispositions pour le lendemain. CT LA CD OB
4.5. a) Le marché de Woodstock. CT LA
b) Le marché de Winchester. CD OB
5 Publicité pro domo; leçon de vocabulaire. CT LA CD OB
d'introduire l'emploi des temps et des conjonctions dans un récit de type oral. Elle se distingue donc foncièrement de la nouvelle contenue dans la Manière de 1396 (famille B) qui, elle, représente les structures linguistiques du récit littéraire.

Les chapitres 3 et 4 fournissent la phraséologie de la vie courante des voyageurs et des commerçants, en chemin et à l'auberge. On y voit des voyageurs se passer des renseignements sur le chemin et des recommandations sur les bonnes auberges. On y apprend ce qu'il faut dire pour prendre soin des chevaux, comment choisir son repas, etc. Le tout est complété d'une leçon de vocabulaire qui énumère les marchandises les plus importantes pour le commerçant de l'époque. Quant à la matière enseignée, cette partie ressemble aux dialogues à l'auberge et au marché des Manières de 1396 et de 1399, mais le texte en est complètement indépendant.

La dernière scène est essentiellement une leçon de vocabulaire de base. Cette partie permet de voir que l'école de William of Kingsmill devait être ouverte à différentes catégories d'étudiants: en dehors des classes pour étudiants adolescents ou adultes, apprentis commerçants, secrétaires ou juristes, il devait y avoir un cours élémentaire dans lequel des enfants pouvaient acquérir leurs premières connaissances scolaires.

Toutes les scènes de la Manière de 1415 se déroulent en Angleterre et se réfèrent exclusivement à des réalités anglaises. Dans ce manuel, les voyageurs anglais qui se rencontrent sur le chemin d'Oxford

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s'abordent en français, et c'est en français qu'ils s'entretiennent avec l'aubergiste et sa femme, le soir, rue du Northgate à Oxford. Il est pourtant exclu que cet emploi du français corresponde à la réalité anglaise au début du XVe s.; même dans les premiers siècles après la Conquête, le français n'a certainement jamais joui d'un emploi si généralisé. Nous pensons donc que la localisation des scènes reflète surtout le fait que l'auteur n'a jamais mis les pieds en France et n'était pas en mesure de créer la couleur locale correspondante. Malgré cela, certains indices dans le texte montrent que cet enseignement correspondait encore à des besoins de la clientèle anglaise pour l'emploi du français en Angleterre même (cf. aussi c.iii.).

Alors que les quatre premières parties du manuel sont certainement originales et ont probablement été rédigées par Kingsmill lui-même, la dernière partie est d'une autre nature. Meyer (1903: 56) signalait déjà que la réponse de l'enfant, au début de la scène 5 (77.3-9), ressemblait à une formule apprise par coeur. En outre, Meyer relevait à plusieurs endroits des ressemblances entre ce texte et le Tretiz de Bibbesworth. En effet, les ressemblances avec le Tretiz vont très loin: toute la leçon de vocabulaire du chapitre 5 se présente essentiellement comme une compilation remaniée d'éléments et de phrases entières provenant du Tretiz, enrichie çà et là de listes de mots reprises à d'autres sources. 19 [19] Une partie du lexique qui ne remonte pas au Tretiz est commune à la Manière de 1415 et au texte de la Manière de 1396 (CD); elle se trouve également dans certaines lettres modèles d'OA (Legge 1941; cf. p. xvi). Comme il est difficile de reconstituer la filiation de ces éléments qui ont dû circuler librement dans les différentes écoles de français, nous nous contenterons d'indiquer dans les notes les passages parallèles que nous avons pu identifier dans les différentes sources.xlv Ce qui a dû cacher ce fait jusqu'ici, c'est que la versification des morceaux choisis repris à Bibbesworth a gravement souffert, au point qu'il est impossible de restituer des vers à peu près réguliers. En outre, les matériaux qui complètent ces chapitres de vocabulaire troublent définitivement la versification originale du Tretiz. La scène 5 permet ainsi de constater que, dans l'école de W. of Kingsmill, l'enseignement élémentaire du français reposait encore sur une méthode développée plus de 150 ans plus tôt par W. de Bibbesworth. Le remanieur semble pourtant avoir perdu de vue le but de la forme primitive – faciliter la mémorisation par le rythme et la rime. Le manuel de Kingsmill fait ainsi figure d'une œuvre d'épigone, qui innove peu et s'appuie fortement sur des

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matériaux élaborés par ses prédécesseurs.

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LA MANIÈRE DE LANGAGE DE 1396

Cambridge University Library Dd. 12. 23, ff. 67v - 87r

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1

[Introduction.]

Ici a nostre comencement de cesti tretis nous dirrons ainsi: En noun de Pier et Filz et Seint Espirit, amen.P3A1 [P3A1] LH, OA et PN amplifient l'introduction. A nostre commencement nous dirons ainsi: En noun du Pere, Filz et Saint Esperit, amen. Ci commence la maniere de language que t'enseignera bien adroit parler et escrire doulz franceoys selon l'usage et la coustume de France x [x] graphie de OA4. Ici comence un tretis de douls franceis que enformera aussi bien lez petiz comme lez granz a parler bien et perfectement beau franceis selon l'usage et la manere de Paris et Aurilians. Primers a comencement de nostre bousoigne nous dirons ainsi: En nom du Pere, Filz et Saint Espirit, amen.4

En noun de la glorius Trinité, trois persons et un soul Dieu omnipotent, creour de monde, qu'est et a esté, et sanz fin regnera, de qui vient toute grace, sapience et virtu, faiceons priere a luy devotement que luy plese de sa graunde mercy et grace toutz qui cesti livre regarderont ou enrememoruntP3A6 [P3A6] PN enremirent, glosé byholde; la leçon de PN semble préférable.4 ensy abuvererP3A7 [P3A7abuverer glosé to be fulfillid. Les gloses de CD sont de la même main.4 et enluminere de le rosee de sa haute sapience qu'ils purront avoire soveraigne grace et sen naturel d'apprendre a parlere, bien sonere et parfitement escriere douce francés, qu'est la plus beale et la plus gracious langage et la plus noble parlere aprés latyn de scole que soit en monde et de toutz gentz melx preysé et amee que nulle autre. Quare Dieux le fist si douce et amyable princypalment au l'onoreP3A12a [P3A12a] Il serait évidemment possible de lire an l'onore au lieu de au l'onore (et an manere au lieu de au manere 3.20, etc.) mais étant donné des passages comme la teste d'omme... qu'est rasemblé a l'estok d'une arbre, et lez chiveux au lez racines 3.25-27; je me juay au l'espeie 18.17; parmy la palme jusques au os 18.19, nous préférons croire qu'il s'agit d'une forme de la préposition a orthographiée au.4 et louangeP3A12b [P3A12b] louaege4 de lui mesmez.P3A12c [P3A12cde lui mesmez: LH, OA et PN ajoutent: Et pour ce il peut bien comparer au parler dez angez du ciel pour la grande doulceur et beautee d'ycel.4

2

[Le corps humain.]

Et pur ce que homme est le plus noble et le plus digne creature que soit en sicle, et que Dieux a ordigné d'estre soveraigne et maister dez toutz autrez creaturs et choses que sont desoubz luy, je commencerai a declarere et pleinement determinere de lui et dez lez membres de son corps et des autrez choses que lui apperteignent ou aveignent.

Et sachés que sicom dit le sage que homme est divisé en douzse partiez au manere et guise dez .xii. signes de ciel que lez governent, et lez signez ont grante seigneurie et dominacione dez lez membrez suisditz, [f.68r] quant la lune serra en ascun d'eaux acordé a son membre.

Et voilés savoire que homme est arbre bestorné, c'est a dire l'estokP3A23 [P3A23] CD LA ont estok estoke, tronc, LH OA escot souche. La seule attestation du T-L pour escot provient de LH (éd. Gessler 1934); estoc est bien attesté.4ou: le trunc – et lez racinez quelez sount verséP3A24 [P3A24] versere4 contremount, et la summitee ovesque lez branchez en avale. Ainsi est la test d'omme qu'est la plus haute et principale partie de lui qu'est rasemblé a l'estok d'une arbre, et lez chiveux au lez racines.

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Et fait a remembre qu'il en a beucopeP4A1b [P4A1bbeucope : monay.5 dez membres come le front avant, lez orailez, lez oiles, lez palperes, lez surcillez, le veu clere, lez chiveux, les chiveux resursilez; auxi en la test est la kakenel et le colle derere, la visaige devant ou est le nees, lez narez, le tiendrone,P4A4 [P4A4tiendrone : grystyll of þe no[se].5 lez faucez, lez jouez, les liverez desus et desoubz qu'enclosent lez dentz environe, le bouche ov le palet amont la lange, lez gingivez et la hanapele ov lez templez, le cervel, le fosselet, le gorge, la gargalet l'ou moun alyne est passant, ausi enmy la teste amont le grive.P4A8 [P4A8grive : þe shede.5 Est auxi le pis ou le pectrin, le vendone, lez espaulez, le blasone, lez asselez, lez bras, lez coubtes,P4A9 [P4A9coubtes : elbowye.5 lez mainez, lez diez, la palme, lez unglez, lez joyntes, le pectrin, les mamels, lez coustes, lez costés,P4A10 [P4A10coustes, costés: En général, la graphie ne permet pas de distinguer côte et côté. CD dissocie pourtant couste et coste (cf. aussi 14.26 et 28.32, avec recours à la graphie ee: coustee, costee.) Enfin, CD lève l'ambiguïté grâce aux gloses: coustes : þe syde; costes : þe rybys.5 le dos,P4A11b [P4A11bdos : bak; umbil : navyl; penyl : share.5 lez ossez, le ventre, le chyne, l'umbil, le penyl, le vit, lez cuilons,P4A12 [P4A12cuilons : ballat; cul : ars; nages : buttockes; esquissez : thyys. 5 le cul, le hanche, lez nagez, lez esquissez, lez genulez, lez jambes, la garete, l'assure,P4A13 [P4A13assure : calfe; talone : þe bake.5 lez peez, lez kevylez, lez artilez, la plante de pee, le talone, le cervele,P4A14 [P4A14] gloses: cervele : þe brayne; foy : lyver; pulmone : longge; splene : mylte.5 le gargate, le corps, le coer, le foy, le pulmone, lez splene, lez boelx et le stomac, [f.68v] lez veyns, lez nerfes,P4A15 [P4A15nerfes : sennes; rate : þe mytryf.5 la rate, le feel, lez reignouns, lez reynez,P4A16a [P4A16alez reignouns, lez reynez: En général, les deux formes sont synonymes. Les Manières de langage semblent pourtant distinguer reignouns rein et reynez lombes (cf. aussi la Manière de 1415: renoun 78.6 et reyns 78.8).5 la vescie et la peel.P4A1a [P4A1a] CD énumère 86 parties du corps, LH (qui consacre un alinéa aux humeurs, absent dans CD) 80, PN 72, LA 67, OA 46. Dans CD, une vingtaine de mots est glosée en anglais (voir infra). Les ajouts de CD se retrouvent dans le passage analogue de la Manière de 1415 (cf. pp. 77-78 de cette édition); ils remontent au Tretiz de Bibbesworth.5

3

[L'aménagement d'une maison.]

Ore je vous divisaray lez chocez necessaries a homme et la manere de parlere.

Fait le seignour del hostel a un dez cez esquiers ou vadletez tout ainsy:

Me faitez venire devant moy mon garderobre. Ditez luy qu'il veigne tantost.

Voluntrez, moun seignour, a vostre comandement.

Et puis le vadlet s'en irra a garderobre et luy dirra courteisment tout ainsy:

Sir, Dieu vous esploit. Ou: Dieu vous avance.

Vous estez bien venu, beu sir. Voilez vous rien que je puisse faire?

Oil dea, mon seignour vous comanda d'a luy venire tantost, quar je sçay bien, se vous demurrez gairez, il serra bien marry de vous. Et pur ce vous n'arestez mye, mez avancez vous sur vostre chymyn.

Savez vous rien qe luy plest?

Nonyle, veraiment, mez je pense que vous en irrez ja adezP4A31 [P4A31ja adez : nowsone.5 devant myday pur achatere dez darreezP4A32a [P4A32adarrees : peniworþes: LA darrés PN danrees. 5 a l'overesP4A32b [P4A32boveres : worke: Les autres mss. ont oeps besoin, service. La substitution doit s'expliquer par le fait que dans le sens de travail, overe et oeps sont synonymes.5 de moun seignour.

Donqes viendra le garderobre a son seignour en quanque il se poet hastiere, et quant il serra venu, il luy dirra tout ainsy:

Mon seignour, que vous plest il?

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Guilliam, pur tant que je ne su my bien purveu de mesnage et d'autres chosez bosoignablez qu'apparteignent a mon estat quant a present, a cause que je su novelment venu a cest hostel, primerment je voil que vous faites venir ciens le quarreour – ou: le joinour – pur apparailler, joindre ou faire lez aes de mon lit, et puis aprés de boter lez peceaux et paille de furment dedeins lez aes; et puis aprés que vous en alés a le tapecer et que vous achatez de lui pur la sale un grant doser ovesque lez tapetez, bankers [f.69r] et quarreaux.

Auxi que vous m'achatez de chaiers, fourmez, sciellez, tables, aes, un table pur hanaps, brichets, basyns, chaufours, un euar pendaunt.

Et pur le pantrie et botrie que vous achatés du payn non pas chaufenous, mes de bon payne levee, et payn leger auxi beal et blanc com l'en poet trovere en tout le monde, et quatre tonelx de bon vyn vermaile, trois tonelx de malvesyve, cinque tonelx de blanc et deux tonelx de romney, et ce de meillour que poet estre trové ent tout ce pays ici.

Auxi que vous achatez poz de peauturP5A16b [P5A16b] de de peautur6 et d'argent, cuillers d'argent, goblés, piecez d'argent, madrez, terrens, veirres, cuteulx bien trenchantz, chargeours, platez, escuilez, saucers, salers pur seil et chaundlers de fin argent.

Auxi que vous en alez a mercer et achatez de lui costiers de sengle wostede pur ma chambre, un lit entier de soy parce et un autre de drape d'or, c'est assavoir testre, cillour, curtyns et coverlit ovesque lez autres appurtenancez com blanketz, lincheux, quiltez longes, coissons, orillers, un sarge et un large canvas de chemvre.

Auxi je voil que vous achatez dressours, poz d'aresme, paillez, chaudrons, troipiés, aundirez, greiles, hasties, lechefris de fere, crokes, sufflers, tenels, barels, cackez ou tables,P5A27 [P5A27]  LA cakcez ou tubbez: La leçon de LA (deux synonymes pour tonneau) semble meilleure.6 cuves, cuvels, tynes, tynels, gates et bolenges de stamyne.

Auxi que vous m'achatez une bone seel bien apparaillé ovesque toutz lez appurtenance, c'est assavoir freyne, mors de freyne, chevestre, peutrelle, [f.69v] culere, sei[n]gle, estruez et auxi un paire dez hoseux et un pair d'esporons.

Auxi je vuil que vous en alés [a] un drapere et achatez vous de lui dousze vergez de blanket, dys vergez de drape noire et atant de vert, .xxiiii. vergez de sanguyne et atant de tanney, violet et buret, .viii. vergez de mustre de villers et de melley et atant de rouge et parce et .vi. vergez de bon scarlet.

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Auxi que vous m'achatez du mercere un drape entir de fin soy rouge et un autre de bon wostede parce, .xxx. aulnes de drap de Raynes et atant de tresbone teel.P6A3 [P6A3teel : raw.7 Et quant vous en arrez trestout ainsy faite, vous lez porterez a la garderobe et la lez taillerez trestout en manteulx, taberdes longez, purpointz,P6A5 [P6A5] purpoints longs jupons.7 surcotez, cotes, hopelondez, chaperons ové longez cornettez et corsetez, et ce en le meilour maner et façoneP6A6 [P6A6façone : shap.7 que vous savez ou purrez deviser, savant ce que je vuil que lez avantditez draps de Raynez et de teel soient gardez et estorez pur en faire lincheux, chemesez et brayez, et que vous en ordeignés grande cope dez cousterers ou taillandres que savent bien oevrer et ignelment coustre, et que lez coustures soient bien et fort couseez, si que nulle defaute ou faucetee ne purra ja estre trové en lour bosoigne, quar il lour serra grande hontee se lez coustures fuissent tost aprés decouseez pur defaute de bon overage.

Auxi je vuil que vous en alez a cordewaner [f.70r] et vous achaterés de luy .vi. pair de salers escolettez, quatre paire de solers eschorchez et partusez et cinque pairs solers ové deux noeux pur mez charetters.

Auxi je vuil que vous m'achatez un tonel de vernage pur ma propre bouche contre le fest de Pasches floris prochein que vendra, quar lors je frai un graunt mangerie.P5A1 [P5A1] Les différents achats sont pratiquement identiques dans les familles A et B, mais présentés dans un ordre différent. Aux lignes 5.11-15, B place un passage qui se trouve au début de la scène 4.2 dans A. Les lignes 5.29-32 manquent dans A.7

4

[Partir en voyage.]

Meintenant je vous dirrai coment un homme chivachant ou chymynant se doit contenere et parler sur son chymyne, qui voet aler bien loignez hors de soun pais.

4.1

[Les préparatifs de voyage.]

Et primerment le seignour parlera a son vadlet devant son aler ainsi:

Janyn, venez ça.

Mon seignour, je veigne a vous en tout quanque je me puisse hastier. Ou: … avancer.

Donque dit le sir:

Va, mesnez mez chivalx a forges pur ferr[er], s'il en est meistre, et qu'ils en eient de bons ferres et fortz et bien forgez.

Moun seignour, il serra fait a vostre commaundement.

Et puis le vadlet s'en va a forge ovesque lez chivalx et fait le comandement de son seignour.

Et quant il serra revenu de forge, le seignour luy parlera tout ainsy:

Janyn, as tu fait?

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Oil, vraiment, mon seignour. Ou si:P7A1 [P7A1Ou si: CD, LH et OA soulignent à l'encre rouge tous les vel sic (et quelques ou si) introduisant des expressions synonymes ou pragmatiquement équivalentes.8 Oil, mon seignour, tresbien a point. Ou si: Oil sir, a vostre congé, certez je l'ay fait.

Ore va tost et lez dones de feyn, d'aveyn et du payn, quar si tost que j'ay desjunee, je me chivacherai devers Parys,P7A4 [P7A4] Parys Montpellers Loundrez sur mon chemin8 et par aventure je ne revendray pas en grant piece a cause que j'ay beaucope a fayre la.P7A5 [P7A5] a fayre la en les parties de province en les parties de Gales.8

4.2

[Le repas d'adieu; viandes, volaille, énumération d'oiseaux.]

Guilliam, ou estez vous?

Mon seignour, je sui ci.

Alez vous tost a la cusyne et demandez de le cusyner – ou: de le keu – se la viande soit unquor prest.

Et puis il s'en va a cusyne pur surveir et esgarder que tout soit [f.70v] prest. Et en le meen temps, le seignour s'en irra seier aprés qu'il avra lavee sez mains. Donques lui serviront sez escuiers et vadletz de mut bone viaunde, mes primerment lez salers du seiel, cuillers et longez culteux trenchantz et lez trenchours serront apportez a table, et puis aprés le pain et le vin et auxi la servoice s'il en i a point.

Donques ils lui serviront al primer cours dez soupez graas dez bons herbes ov de gruel enforcéP7A16a [P7A16adez soupez graas dez bons herbes ov de gruel enforcé: Nous comprenons une soupe épaisse de gruau épicée aux fines herbes (moyen anglais to enforcen épicer). PN va avec la famille A (cf. Gessler 1934: 51): Donques ils luy serviront al primer coursse de soupe dez naveux s'il soit en esté. LA va avec CD.8 s'il soit en esté,P7A17 [P7A17] en estre8 et s'il soit en iver, dez choulx, de porré ou d'autre bons herbez ové la larde ou autrement la venosone.

Et aprés lui serviront de grande chare come de boef, motone, porc et veel et puis de gelyns, poullez et pullettz, poucyns, musserons, estornelx, roitelx, pestiez en graunde pastez.

Et a la second cours ils lui serviront dez chapons rostez et dez ouez, gaars,P7A23 [P7A23ouez, gaars (ms.)graas, oyselons: PN LA gars. CD semble considérer graas gras comme épithète d'ouez (ou d'oyselons). PN est pourtant explicite:ils luy serviront dez chapons rosteez, ouves (glosé ges).garsglosé ganders, oaisons, oaiselons. 8P7A23 [P7A23] graas8 oyselons et auxi dez ans, anattz, madlardez de river, cignes, heirons, coverlons, grues, bitors, plovers, perdris, grivez, quailez, colombez, pugions, mavis, alloues, rassinolez, chardons, feusantz, videcok, chalaundres, verders, mosengez, musengez, begasez, blaretz, chardurolez, arundeez, oues rosers, cicoignez, pouns et de toutz autrez oseux savage et domastez que l'en poet avoir, forspris lez oseux ravenous que ne sont pas tresbons a mangere com agas, kaves, cornails, corbels, frus, salamandrez, hulotz – vel: huetz –, soris chaux, escoufles, sprevers, cercelers, faucons et esgles.P7A22a [P7A22a]  Au lieu de cette liste commune à CD, PN et LA, LH et OA se contentent d'une dizaine d'oiseaux comestibles. (PN LA remplacent coverlons par cermerantz / cormerauntz, et pugeons par popingantes / popingauntz. PN ajoute geais et cocoel.)8P7A29a [P7A29asalamandrez, soris chaux: La présence du grillon et de la chauve-souris dans cette liste d'oiseaux sauvages doit s'expliquer par le fait que les deux volent.8

Et puis aprés ils lui serviront de furmage, poires, pomez, cerices et noes.

Page 8

4.3

[En route; comment demander le chemin.]

Fait le seignour [f.71r] aprés qu'il avra assés mangé:

Oustez la table tost et alons a chival. Et Janyn, va seller Morel, mon chival, mez gardez vous bien de lui q'il ne vous morde point. Et aprés l'amesnez devant le huis de la sale, qar laP8A4 [P8A4] qar le9 je monterai a chival.

Aprés vient le seignour et se monte a chival et, quant il este montee, il s'en chivache sur son chymyn et dit:

Vraiment, mez amys, je ne fu meulx montez et arraiez cez trois anz passés que je ne su a present, Dieu merci.

Et quant il vendra al but de la ville, il demandra le chymyne a une putevile tout ainsi:

Ma commere, q'est le droit chymyn vers Parys?P8A11 [P8A11] Parys Aurilens Aurilians Loundrez9

Mon seignour, je vous dirrai. Vous chivacherés tout droit par cest chymyn tanque vous venez a la crois du pere que n'est mye la quarter d'une leuge deci. Et un petit d'illeoques vous troverés une voillet que s'en va tout droit vers l'orient; si larrez la voillet et tenerés toudis le haut chymyn tanque vous venez a un valey. Et donques vous troverés au valey une crois de fust; si larrez la crois [a] la maine droit – ou: dextre – et avrez le chymyn a la maine sinestre. Et puis vous troverrés bien une leuge de la un grant bois ou il i a grant cope dez larons,P8A19 [P8A19dez larons: corrigé selon PN/LA.9P8A19 [P8A19] cope deux larons9 sicom l'en dit. Et pur ce, mon seignour, gaitez vous bien d'eux, quar ils font beaucope de maulx, a ce que l'em dit. Et aprés que vous serrez passé le bois, vous en avrez vostre haut chymyn devers Parys tout droit devant vous, si que vous ne purrez ja forvoir sinon que vous vuiliez.

Ore, beale dame, me ditez vous quantbien a il sonee de l' [f.71v] orilogeP8A25 [P8A25oriloge: complété selon PN/LA.9 com vous pensez? Vel sic: Qu'est ce qu'a sonee de l'[oriloge]?

Vraiment, mon seignour, je pense bien q'il a sonee unze, quar il i a bien une heure passé depuis q'il sona dis.

Donques dit le seignour ainsi:

Ore, ma commere, me ditez vous, quantbien i a deci a Parys?

Vrayment, mon seignour, il n'y a que dys leugez bien petitz.

Purrai je y estre unquore anoet?

Oil verament, mon seignour, bien a ease.

Donques dit le seignour:

Ma commere, a Dieu vous comande. Vel sic: Alez a Dieu. Vel sic:

A Dieu soiez. Vel sic: Dieu soit garde de vous.

Page 9

Mon seignour, je pri a Dieu q'il vous dointP9A1 [P9A1] donoit10 bon encontre et vous garde benurément dez toutz adversiteez.

4.4

[Chanson d'amour.]

Lors le seignour chivache sur son chymyne et comence a chanter la plus graciouce et la plus amerous chaunçon que poet estre en tout le monde tout ainsi:


                   Tresdoulx regarde amerousement trait
                   Tant de douçour fra mon coer entrer,P9A7 [P9A7fra mon coer entrer: Cette construction d'entrer avec l'objet direct, courante en anglo-normand (et en anglais moderne), se retrouve dans LH (voir 41.26), OA et PN (dans LA, le passage est corrompu).10
                   Quant lez miens oilx te poent y acountrer,
                   Que tout mon sank me fuit et vers toy trait.
                   Et tant me plest ton gracious attrait
                   Que te veoir je ne me puisse sasuler.
                   Je t'ai purtant en mon coer portrait
                   Qu'autre pensee ne t'en purroit ouster,
                   Et tiel pleisir fait dedeins moi entrerP9A14 [P9A14] entier10
                   Que jammés jour tu n'en serras retraits.P9A6 [P9A6] Chanson commune à CD, LA, PN et OA; pour la version de LH, voir p. 39.10

4.5

[Le serviteur à l'auberge.]

Donques dit le seignour:

Quele heure est il maintenant?

Deux heurez aprés mydy.P9A18 [P9A18] Mon seignur, je panse bien qu'il y a moyntenaunt deux heures passeez aprés myedy.10

Donques il serra bien pres noet avant que nous serrons arrivez a Parys.

Mon seignour, vous y vendrés bien par temps, s'il Dieu plest.

Janyn!

Mon seignour, que vous plest il?

Va devant et preignez [f.72r] nostre hostel par temps.

Si frai je, moun seignour.

Donques Janyn s'en chivache si fort galopant que c'est mervaille, tanque il serra a Parys, puis il vient a un hostel et dist ainsi:

Hostiler, hostiler!

Et l'autre lui respount a darrains tout dedeignousement ainsi:

Qu'est la?

Amys!

Donques vient l'ostiler et overt la port et dist:

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Hé, Janyn, estez vous la?

Oil dea, ne me poes tu veier? Quoi ne m'as tu, paillart, respondu a la primer parole que je t'appelloi? Vel sic: Quoi ne me respondez vous a primer foiz que je hurtai a port? Je pri a Dieu que il te poet mescheoir de cors, quar tu m'as fait longtens ici attendre et targer,P10A5 [P10A5]  PN muser glosé expectare11 et tu sais bien q'il ne fuit si grant froid cest anee com il fait a present, quar il negee, gresille et gelee si fort qe l'eue est si fort et espesse gelee com la laeure de mon pee, pur quoi je sai bien que la glaas du gelee ne se degelera en grant piece. Et pur ce overes la port tost et lesse moi entrer ciens, ou autrement je depesserai trestout, par la foi que je doi a Dieu, me croiez se tu vuis.

Hé, beau sir, ne vous coruscé point, quar vraiment se j'eusse scieu que vous eussez esté ci, je vous eusse venu a primer foiz que vous hurtastez a port. Et pur ce ne vous displese, mon tresdoulx amy, quar je l'amendray bien a point, ainsi que vous agreerez, se Dieu plest.

Ore me ditez vous, hostiler, avez vous de bon hostilerie ciens?

Oil vraiment, beau sir, et bon et honest assez pur le roy, se luy plest estre loggez ciens. Ore venez en, mon amy, et je vous moustray tantost la plus honest chambre que vous veistez unqes jour de vostre vie.

Puis prent l'ostiler la clief de huis [f.72v] de la chambre et overt le huis et dit ainsi:

Ore gardés et esgardés tout entour a l'apparaille de ce chambre. Coment vous est avys?

Vrament, sir, il m'est avys q'il est tresbien apparaillé et bien a mon guyse. Et auxi un autre chose me plest bien: que la chambre est si bien et honestment curraié dez balaiez et nettoié dez pouciez et dez purettezP10A25 [P10A25dez pouciez et dez purrettez; dez pouciez ne dez poillez: Les gloses de LH des poucies - id est ordures - et pourretes - id est poudres confirment que le premier poucies de CD signifie bien saleté; il n'y a pas de confusion avec pouciez puces.11 et ordures, quar je pense bien qu'il n'y a point dez pouciez ne dez poillez.

Nonil, vraiment, beau sir, quar je me face fort que vous serrez bien et esément loggez ciens, savant ce q'il i a beaucope dez soryz et dez ras. Mes de cela ne vous chaille, quar j'en ay tresbien ordeigné a point de lez prendre dez laz, reyz et lienz que je fiz pieça de mon sutil engyn, combien que je ne le die pas pur nulle bobance.

Janyn, vendra mon seignour unqore anoet pur se logger ciens? Vel sic: Serra mon seignour ce noet ci a gist?

Oil vrament, beau sir, mes je su bien esbais pur tant que demurt si longement, quar al tens que m'en parti de luy, il n'estoit plus loignes que quatre leugesP10A36 [P10A36] legus11 deci.

Et savez vous bien donques qu'il vendra anut sanz fail?

Page 11

Oil, si Dieu m'eide.

De par Deux donques, il serra tresbien venuz.

4.6

[Au marché; les poissons.]

Ore, hostiler, il me faut aler au marché pur achater pesçone fresk et saley s'il en i a point, pur le soper de mon seignour.

Hé, mon amy, je su certein que vous ne veistez unques jour de vostre vie si grant plentee de pesçon fresk si bien de maer com de le river com il en a present, qar verrament vous y troverez de tout maner de pesçon a vendre auxi bien de l'un com de l'autre, [f.73r] c'est assavoir harank sor et blanc, leyng, codlyng, troit, grelet, samone, carpes, bremes, whytyng, makerels, luces, brochelers, pikerels, anguilles, lamprons, lampreis, merlynge, esperlyng et menus, roches, perches, gernons, plays, barbels, pesçon salei, estorgeon, rayes, espineis, turbiller, espelankes, carboletz, platone, mulet, muleuel, breem de maer, gojone, tendale, geleis,P11A13a [P11A13ageleis: pour la traduction bulot, buccin, voir Baker 1989: 96, note 110.12 tauntpeeP11A13b [P11A13b] tauntpse12, oistrees, mules, crivys et crabbes, cokkez, le broch – id est: le chien de maerP11A16a [P11A16a] maner12 –, le pourpeys, dolfyn et la baleyne et beaucope dez autrez pesçonz que fort serront trestout numer.P11A5 [P11A5] La liste des poissons est pratiquement identique dans CD, LA et PN (CD énumère 48, LA 47, PN 46 poissons; PN ajoute dorz et pikes, mais omet brochelers, breem de maer, mules et crabbes). LH et OA énumèrent les poissons à la scène 4.8 (42 entrées dans LH [cf. pp. 43-44], 12 dans OA). Pour carboletz, PN/LH ont carbonel; tauntpse (11.13) est corrigé tauntpee selon PN/LA.12P11A16b [P11A16b] numer corrigé selon PN nummer nommere12

Et hostiler, je te pri cherment que tu vuis couper du bois et me faitez un bon feu encountre ma revenue, quar il fait grant froid a huy. Et que tu fendes toutz cez busshes que gissent ici, et quant ils serront fenduz, que vous lez bouttés au feu ovesque cez tisons estaintz ici.

Adonques Janyn s'en va a marchee, et quant il serra venu la, il demande d'un pesçoner ainsi:

Mon amy, avez vous de bon samon et dez lucez a vendre?

Oil verament, auxi bons et beaux come vous troverés en tout la marchee.

Ore moustrés lé moi donques.

Lors dit Janyn:

Verament, cez sont bons et beaux. Mon amy, que me costra cez deux lucez et le samon? Vel sic: Que paierai pur cez deux lucez? Vel sic: Que vous durrai je pur ceci?P11A30 [P11A30] PN/LA ajoutent: Vel sic: Quant bien me costera cest samoun?12

Verament, sir, vous me durrez pur cez deux lucez et le samon deux marcz.

Nonil da, mon amy, il est trope chere. [Je vous donnarai voilentiers .xiii. s. .iiii. deniers.]

Page 12

P11A33 [P11A33] CD semble avoir sauté une ligne; complété selon PN/LA.13Si Dieux m'ait, beau sire, je vous dirrai un mot: pur tout [f.73v] vous me durrez .xx. sols, ou autrement vous ne lez avrez mye.

Baillez ça donques et veiez ci vostre argent, et a Dieu vous comande.

Beau sir, Dieu vous doint bone sanité et paix.

Adonques Janyn s'en va a l'ostel ov le pesçon et l'a baillé al cusyner pur l'aparailler et cuyer encontre la venu du seignour.

4.7

[La soirée à l'auberge; récit: Le mari battu, cocu et content.]

Et tost aprés est le seignour venu a soun hostelle. Donques il descent de son chival et entre sa chambre et puis dit il a son botiller:

Aportez a nous un foitz a boire du vin claret, quar si Dieu m'eide, j'en ay grant soyff et auxi grant faym ovesques. Et Janyn, metté la table tost, quar il est haut temps d'aler soper. Et puis aprés alés a la dame de ciens et ditez lui que je lui pri pur venir souper ovesque nous.

Donques le seignour soi regarde tout environ et dit ainsi:

Que da! Enquors est la table a mettre! Male semaigne soit vous mys, quar vous ne faitez que songer et muser! Mettés la table tost, quar il est oet de l'oriloge, et va pur la dame de ciens.

Puis Janyn s'en va pur la dame et lui dit:

Madame, mon seignour vous pria pur venir souper oveque lui.

Voluntrés, beau sir, a son tresgentele commandement.

Et puis va la dame de l'hostel oveques le vadlet devers la chambre du seignour, et quant ele serra entré la chambre, ele dirra au seignour tout ainsi:

Mon seignour, Dieu vous benoit et la compaignie.

Si Dieu m'eide, ma tresdouce [f.74r] amye, vous estez tresbien venuz ciens. Verament, m'amye, il y a grant piece passé puis que je ne vous vei.

Mays par m'anme, mon seignour, vous ditez veire.

Par vostre foy, coment vous est il a jour de hui?

Tresbien, mon seignour, Dieu mercy et melx pur vous.

Si Dieu m'eide, m'amye, j'en ay grant joie. Ore, m'amye, venez vous en, quar vous serrez ici devant moy en un chaier.

[Par Dieu, mon seignur, s'il vous plaist, non ferai.]

Par Dieu, si frés.P12A33 [P12A33] Phrase omise par CD, ajoutée selon PN. LA Nom sertez, sir.13

Vostre merci, mon seignour.

Donques ils serront serviez a souper de mult bon viande. Et le seignour dit a la dame ainsi:

Page 13

Que chiere faitez vous?

Mon seignour, tresbon chiere, Dieu merci. Et la vostre?

Quoi ne mangés vous donques?

Si fais je, mon seignour, vostre merci.

Ore il parra.

Et tost aprés souper le seignour et la dame de l'hostel s'en irront pres de feu.

Donques dit le seignour:

Je vous empri,P13A9 [P13A9Je vous empri: Dans l'ensemble des mss. étudiés ici, emprier - la forme de loin la plus fréquente - est toujours écrit en un seul mot, alors que les rares attestations de en prier sont écrites en deux mots. Nous pensons donc qu'il faut postuler l'existence d'un verbe emprier, d'autant plus que dans les Artes dictaminis contemporaines, on trouve facilement des passages comme les suivants: Honeurs et reverences aux tous manieres des filialz obeissances, vostre benicon de jour en autrez humblement empriant. (LH) vostre benison de jour in aultre humblement empriant (PN) Et touchant moun estat savoir vous face q'a l'escrire de ceste lettre fuy en sanitee de corps la merci Dieux treschierment empriant que si rien soit etc. (CU Ee 4.20) Pur ceo que m'est fait a entendre que vous estez en saintee et avez vostre purpos en vostre plee vers cel tyraunt N., graundement suy recomfortéz, empriant le trespuissant S[eignour] Jhesu que tiels sanitee, comfort et joye vous doigne (CU Ee 4.20)14 m'amye, q'il ne vous desplest point de la counte que je vous counterai meintenant, quar verament je ne vous dirrai point de mensonge. Verament, m'amye, il est le plus meilour counte que j'oy unques mais jour de ma vie.

Ore, mon seignour, je l'orray tresvoluntrés a vostre comaundement, de par Dieux.

Donques je le vous dirrai.

Jadys i avoit en BurgoyneP13A17 [P13A17] Burgoyne Kent Burgoyne.14 une dame bone, gentele et sage que passoit toutz lez autres dames de cel pays la auxi bien de bealté com de bontee. Et cele dame avoit un baron que fuist mult bon chivaler et vaillant. Auxi il avoit un escuier demurrant en lour hostel que fuist bien joliet au coer et estoit auxi homme de mult bon façon et beaux et si bien et gentilment entaillé de corps que ce fuist mervailles.

Et si avient un jour que cil escuier, sicom il regardoit sur la dame de l'hostel, que le corps et le coer luy furent trestout enravoiez pur la [f.74v] grant bracier d'amour q'il en out devers la dame. En tant ne savoit que dire ne que faire, si endura de jour en autre tresgrandez paines et dolours. Puis il pensa bien que son amour ne poet estre aperceu, et suffrist tant de tristicie et dolour au cuer que nut ne jour ne pouoit mye dormer. Si fuist il naufrés trop pitousement de la lance d'amour bien aprés a la mort.

Si avient a darrainz que l'escuier s'en ala parler a la dame tout en secret, ainsi lui disant: 'Ma tresgentele, tresamyable et tressoveraine dame', fist il, 'je vous empri tresentierment de cuer q'il ne vous desplese de ce que je vous dirrai meintenant.' 'De par Dieu', fist ele, 'me ditez vous tout quanque vous vuillez, et je n'en parlerai ja jour de ma vie, ne vous sourciez.'

'Ore, dame', fist il, 'mes que vous ne displese, je su si dolourosement naufré au coer de l'ardant amour que pieça j'ay eu et enqore ay devers vous que je ne puisse pas longement endurer ne vivre sanz consolacion de vostre tresgraciouce persone. Pur quoi, ma tresdouce dame', fist il, 'eiez pitee de ma dolour ou autrement vous serrez cause de ma mort.'

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Donques dit la dame: 'Est ce voire que vous en avez tant d'amour envers moy com vous ditez?' 'Par mon surment', fist il, 'beale, tresdouce dame, si est.' 'Ore', fist ele, 'je vous ottroie m'amour.P14A3 [P14A3je vous ottroie m'amour: C'est ici que s'achève le texte de LA, sur les mots: Ore jeo vous ottroiez as toutz jourz. Amen. Est fineez.15 Mais pur acompler vostre desire plus privément, je vous dirrai coment vous frez. Vous savez bien que mon seignour se purpose de chivacher hors de la ville demain aprés manger. Et pur ce alés et demandés meintenant congé de luy pur aler a vous amys que demurrentP14A7 [P14A7] demurrant15 en ce pais yci pur certeinz bosoignez que vous en avez a faire. Et quant vous l'avrez fait, pur lui deceiver plus sutilment, je vous conseile que vous en alez sur vostre chymyn. [f.75r] Mais demain a nut, quant il serra grant oscurtee, retornez si privément com vous purrez, et venez a ma chambre par le huis du chardyn un poi devant mynut pur coucher ovesque moi.'

Lors dist l'escuier: 'Ma tresgentele dame, je vous remercie soveraigment de cuer de vostre amour et curtais[i]e.'

Et puis aprés, quant l'escuier avoit congee de son seignour pur aler a sez amis, si s'en ala bien matyn a l'ajournant. Et aprés manger, le seignour comanda sez vadletz de seller les chivalx pur chivacher hors de la ville. Donques vient la dame de l'hostel a son seignour et lui dit ainsi: 'Mon seignour', fist ele, 'vous ne civacherez hors de ciens maishuy, se vous plest, qar il [est] de[j]a bien pres de noet,P14A20 [P14A20il est deja bien pres de noet: corrigé selon le texte concordant de PN et CT.15 et pur ce je vous consele d'arester ceste journee et alez vous demain.'

'Dame', il fist, 'je le vuil bien.'

Si avenoit, aprés qe le seignour et la dame avoient soupez, ils s'en aleront coucher ensemble. Lors vient l'escuier a mynut tout privément a lour chambre, sicom la dame lui avoit enseigné, et ne quidoit mye que le seignour estoit couché ovesques la dame. Et quant il fuist venu a coustee du lit l'ou la dame coucha, la dame lui prist par la mayne, ainsi lui disant en son orail: 'Ne sonez vous mot', fist ele, 'pur nulle chose de monde, mais escottez vous bien a ce que je vous dirrai.'

Donqs la dame se turna vers son seignour pur lui eveiller, et quant il fuist eveillé, la dame lui dit ainsi: 'Mon seignour', fist ele, 'il i a un escuier demurrant en vostre court, cil qui demanda congé de vous heir soir, qi m'a parlé et requys d'amour pur coucher ovesque moi. Et se vous ne croiez mye, levez sus tost et vestez vous en ma robe et appareillez vous en manere et guyse de moi et alez vous a verger et l'attendez un poi et vous veiez meintenant coment il vendra de m'enravoir.'

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Donques le seignour ce comenci[a] pur estre [f.75v] marri et dit: 'Que da, est ce voire que tu dis?' 'Verament, mon seignour', fist ele, 'si est.'

Lors le seignour se levaP15A4a [P15A4a] leva16 tost bien vigorousment come un homme forsennez et soi vestoit com la dame lui avoit apris. Et puis s'en alaP15A4b [P15A4bala: corrigé selon PN/CT.16 tresfort currant vers le verger, de prover ce que la dame lui avoit dit.

Donques dit la dame a l'escuier tout ainsi: 'Mon amy', fist ele, 'n'avez vous point talent pur vous esbatre ovesque moi?' 'Par mon surement, ma tresdouce dame', fist il, 'je su si disconfiz et pauereux au coer que n'ay je plus d'appetit ne voluntee pur esbatre ovesque vous que un petit enfaunt que n'entent point de male.'

'Ore', fist ele, 'faitez vous un chose que je vous dirrai, et vous en avrez m'amour as toutz jours mais, devant toutz autrez de monde sanz faire changement.' 'Par Nostre Dame de Boloigne', fist il, 'je le frai tresvoluntrés, se je purrai.' 'Maintenant', fist ele, 'prennés un bon bastone et alez au verger et la, vous troverez mon seignour arraié en manere et guyse de moy et batez lui bien et donez lui dez bons horrions sur le dos, ainsi lui disant: "Va t'en a ton lit, maveise putaigne que tu es, va t'en de par deable et de par sa mere ové tout, ou autrement je toi rumperai le colle devant que tu bougeras deci." Quar verament', fist ele, 'se vous faitez ainsi, il n'avra unques mais aprés male suspeccione de nous, et en tiele manere nous purrons faire tout nostre desir en tens a venir et privément sanz escient de lui ou d'ascun autre.' 'Si Dieu m'eide, ma tresgraciouse dame', fist il, 'je m'en irrai voluntrés pur vostre comandement acompler.'

Et quant il fuist venu a verger, il regardoit le seignour com le grant deable, lui donant dez horions tresbien asiz, sicome la dame lui avoit comandé, ainsi lui parlant com il fuist apris par [f.76r] devant. Et tost aprés, le seignour se courra bien ignelment a sa chambre.

Et puis dit le seignour a la dame ainsi: 'Dame', fist il, 'cil escuier de quoi vous m'en parlastez m'a tresmal batu, quar il quidoit que vous y fustez. Pur quoi je sçai bien q'il est bien loialx a vous. Et pur ce je vous fray tresbien acorder, quar ce q'il a fait, il ne fist que soulement pur vous attempter.'

'Ore, mon seignour, je le fray a vostre comandement.' Et puis aprés la dame et l'escuier avoient toutdis lour voluntees d'esbatement et desduyt, sans escient de nully. Et en tiel manere le seignour fust deceu par coyntise d'une femme, qar pur la greynour partye toutz lez femmez de monde sont plains de maveistee et tresone.

Page 16

Et pur ce le sage Salemone dit en Livre de Sapience q'il n'y a malice en tout le monde que surmonte la malice de maveise feme. Dont je pri a Dieu que vous vuilezP16A3 [P16A3] qu'il nous vueille17 bien garder d'eaux. Amen.

Ore, ma tresdouce amye, coment vous est avys de ceste tresnoble counte que je vous ay countee maintenant?

Verament, mon tresdouce seignour, mais q'il ne vous displese, il est le pesme counteP16A7 [P16A7] pesyne counte17 que j'oy unques mez dez femmez. Je pense bien q'il n'avenoit point ainsy com vous avez dit.

Par seint Jakes, m'amye, si fist il.

Toutezvoiez, vraiment, ne vous displese, je ne puisse le croier que ascune femme vorroit faire tiel tresone a son seignour.

De par Dieu donqes, ne parlons de la matere. Janyn, que faitez vous?

Mon seignour, se vous plest, je songe.

Reveille toy, de par le deableP16A15 [P16A15] de par de deable17 et de par sa miere ové tout, ou autrement je toy dorray un tiel sufflet que tu penseras de moy deci as quatre jours, me croies se tu vuis.

Hé, mon seignour, pur Dieu, ne vous displese, je su tout prest a vostre comandement.

Ore [f.76v] va nous traire a boire du meillour vin ciens. Si tost que j'ay bu, je m'en irray coucher.

Et puis Janyn aporte de tresbon vyn a son seignour, et le seignour dit a la dame de l'hostel:

Dame, prennez vostre hanap et comencés.

Mon seignour, s'il vous pleast, non fray devant vous.

Par Dieu, si frez.

Vostre merci, mon seignour.

Et puis aprés la dame prent congé du seignour pur tout la noet ainsi:

Mon seignour, je me recomande a vous et [j]e pri a Dieu qu'il vous doint bone nut et bon repos.

M'amye, bone noet vous doint Dieux.

Et se vous vuilez [tr]umper ascun, vous dirrez ainsi:


                   Dieu vous doint bone nut et bon repos
                   Et beau lit et vous dehors.P16A33 [P16A33] Pour un vœu analogue, cf. 59.14-15 (Manière de 1399).17

Page 17

Vel sic:


                   Dieu vous doint bone noet et auxi bon repos,
                   Que vous n'aiez maishuy le cuil clos.P11A3 [P11A3] A partir de la scène 4.6 jusqu'à la fin du chapitre 4, les deux familles de mss. divergent complètement (voir le texte de LH reproduit pp. 38 ss).18P17A2 [P17A2] Même leçon dans PN: Que vous n'aiez maishuy le cul clos.18

5

[Le cultivateur et le laboureur.]

Une manere du parler dez labourers et overurs des mestiers.

Dit le closier d'un gardin a un fosseour qi foue lez terres ou les fosses in ceste manere:

Mon amye, par ta foy, qu'as tu gaigné ceste sepmaigne?

Par mon serement, j'en ay gaigné toute ceste sepmaigne pur fouir les terres et faire des fosses bien parfons que .xii. deniers et mes despenses.

Par la mort du Dieu, c'est bien petit.

Ore me dites, beau sir, qu'avés vous gaigné?

Volentiers, mon gentil compaignone. J'ay enté toutz les arbres de mon gardeyn des les plus beals entes que j'ay vieu pieça et ore ils comencentP17A12 [P17A12] comencencent18 a reverdir, et auxi j'ay foué un autre gardein et je l'ay tresbien a point planté des cheux, porré, perselé et sauge et dez autres vertouse herbes. Et plus unquore je l'ay esraché et essarté toutz lez ortites putes et les mavaisses herbes, et tresbien semé de beaucope [f.77r] des bons semailles ou grains. Et j'en ay la auxi beaucope dez beals arbres portauns des divers fruis come des pomes, poirs, prunes et cherises et noes, et je les ay tresbien apparailés et unquore j'en ay gaigné ceste sepmaigne que troys deniers et mes despenses. Mais ne gaignay le darrayne sepmayne que fuit derechief atant, et j'en estoy adonques bien hetiés.

Hé, mon amy, ne vous chaille, quar il faut gaigner ce que n'e[n]poet avoir a jour de huy.

Hé, escoultés coment toutz les cloches sonent en le clocher.

Hé, mon amy, c'est a cause de la solempneté que serra demayne. Il est temps de nous aler a pranger.

Cen fait mon. Ou si: Ce fait mon.

Donques ils s'en vont a l'ostel pur diner emsemble. Et quant ils serront venus, ils serront servies des choux lardé bien graas et buré ensemble et auxi du lait et des ouysP17A30 [P17A30] des le ovys18 ovesques les comques, l'aubeaux et les moealx. Et ces deaux mescheanx serront si friandes de lour viande q'ils leP17A31 [P17A31] qils se18 transgloute[r]ont sanz maschier, a cause d'estancher plus tost lour grande fayme. Et quant ils en aront trestoutP17A33 [P17A33] aiont trestout18 mangés, ils rueront les os a lour mastins. Donques ils [les] rongerount si fort que le diable,P17A34 [P17A34] ils les rungeront si fort que c'est diables.18 et primerment ils s'esbateront

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atant ensemble q'ils combateront droitement ainsi que le plus fort esbatara le plus feble a la terre.

Donqes dit l'un villaine a l'autre:

Mon mastine est le plus cravantP18A4 [P18A4] crainant.19 que n'est la vostre, et pur ce nous les departirons ou autrement nous lessons que l'un serra batu a la terre.P18A5 [P18A5a la terre: LH/OA ajoutent: Laions nous ore nostre ju, car il me faut aler a marchés pour achater un marteau et un malliet, car j'ameroy mieulx ainsi qu'en mesme le cas rencheoir en quel j'ay cheu pardevant. A Dieu vous commande, car je m'en vais.19

6

[Le boulanger et son apprenti.]

Un autre manere de parler.

Fait le bolongierP18A7 [P18A7le bolongier: LH/OA ajoutent: qui bulete la bulee et deseuvre la gros de la mynut.19 a un de ses vadletz tout ainsi:

Pier, pernés la siel et va traiere de l'eaueP18A8 [P18A8eaue: Cette graphie peut représenter soit la forme continentale, soit la forme eue (cf. 10.7) transcrite avec le digraphe ea de la tradition anglaise. Comme CD écrit souvent ea (la Manière de 1415, dans le même ms., contient aussi la forme eauer abreuver les chevaux [eawer CT, 72.14]), la solution locale paraît plus plausible.19 tost, et puis le boutés en la grande paille et le mettés sur le feu, [f.77v] car il me faut pestier unquore anut et cuier .ix. bussels de farine de furment pour les despenses de mon seignour de Leyer,P18A11 [P18A11] Leyer Beyr Bealvois19 car l'endemayn de Seint Michael serra l'entierement de ma tresnoble dame madame de GeynysP18A12 [P18A12] Geynys, Guneys Guerney19 que fuit sa compaigne et que trespassa au fest de la Exaltacione Saint Croix darraine passé.

Maister, je vous empri, ne vous displease, car vraiment je ne puisse pas espuiser l'eaue a cause que je su blessé en lez mainz.

Et coment fus tu ainsy blessé, meschiant paillart que tu es?

Vraiment, sir, sicome je me juay au l'espeie des deux mains ovesque un des mes compaignons, il me done un tiel horion sur la mayne droit qu'el la fendist tout parmy la palme jusques au os. Ore veiez vous le pref: il n'est pas mençoi[n]ge ce que je vous die.

Par la mort de Dieu, tu fus que foelP18A21 [P18A21] tu fus que foel tu fis tu fus.19 ainsi juer de t'en blesser en ceste manere. Maintenant j'en ay grant bosoigne de toy, et tu ne me puisse riens profitier.

Hé, mon tresdoulx maister, ne vous chaille, car je vous fray avoir un autre en noun de moy desques a heure que j'en serray tout garry.

Et savés vous bien que vous [le] frés?P18A26 [P18A26que vous le frés: corrigé selon LH/OA.19

Oil dea, ne vous surciés de cela.

Or il parra donques, mais toutzvois je suy bien marry que tu es ainsy naufré, car la plaie est bien parfont et pereilouse. Mais nepurquant te recomfort bien, car s'il Dieu plaist, tu en serras tresbien garry.

7

[Le drapier et son apprenti; scène de marché.]

Autre manere de parler des marchantz.

Dit un marchant a un de ses apprentiz tout ainsy:

Guilliam, ou es tu?

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Mon seignour, je su cy.

Venez a moy. Ou si: Vien avant donqs.

Maister, je vien a vous ore.

Ou as tu eté depuis que [f.78r] tu levas? J'eusse esté au marché pieça se tu ne feus.P19A5 [P19A5se tu ne feus: si tu n'avais pas été (= si je n'avais pas dû t'attendre).20 Et tu sais bien que j'en fuy bien matyne levé pur aler au marché a viendre mes denrés. Male sepmaigne soit toy mys, car j'en ay perdu huy mon marché a cause de ta folie!

Qu'en puisse je? Vous savez bien que j'ay esté ocupié entour vous bosignes, sicom moi comandastez hier soir.

Hé, tu mens fausement. Tu as esté ovec tes filletz putaignes,P19A10 [P19A10] tes filletz putaignes putaignes et makerelles20 et pur ce je pri a Dieu queP19A11 [P19A11je pri a Dieu que: LH/OA ajoutent: de malle faucille roillee.20 tu puisse avoir le vit coupé, car je sçai bien que tu en aras male estraine a darrains se tu ne v[u]is lesse[r] ta folie, par Dieu!

Mon seignour, je ne fus pas.

Tu mens fausement parmy la gorge. Je sçai bien que tu y fus.

Save vostre grace, non fas.

Teis toy, de par le deable. Ou si: Finés vous. Ou si: Tien te coy ou te je doneray un ytiel sufflet que tu penseras de moy decy as quatre jours, me croyez se tu vis, car je teneray covenant. Ou si: Tenés vous coy. Ou si: Finés vous. Ou si: Ne me parlésP19A19 [P19A19] parlas20 ja plus a ceste foitz sur peril qu'en purra avenir, quar se vous le frés, vous en arés dez horions si bien assésP19A20 [P19A20] assés assis.20 que par aventure vous penseras de moy decy as troys sepmaignes, me croiés se vous voillés, quar vraiment je vous tiendray la covenant.

Hé, mon tresdoulx maister, je vous cri mercy et vous en supplie humblement de vostre grace que vous me voillés pardonere vostre maletalent, quar s'il Dieu pleist, je ne mesprenderayP19A25 [P19A25mesprenderay: corrigé selon LH/OA mesprendray.20P19A25 [P19A25] mesponderay20 ja plus envers vous.

Ore va t'en, quar je te pardone.

Grant mercy, mon seignour.

Donques l'epprentice s'en vait a ParysP19A28 [P19A28] a Paris a l'overdure.20 pur vendre lez [f.78v] danrés de son maister, et la veignont grant cope des gentz dez diverses pays de les achater. Et l'apprentis lour dit tout courtaisment en ceste manere:

Mes amys, venez vous ciens, et je vous moustray d'auxi bon drape come vous troverés en tote ceste ville, et vous en arez d'aussy bon marché come nulle autre. Ore regardés, beau sir, coment vous est avys? Ou si: Coment vous pleast il? Vieicy de bon escarlet violet, sanguin et de toutz autres colours que n'en poet nomer. Ore esliez de tiel que vous pleast.

Donques dit un marchant:

Que me costra tout ce renc de scarlet?

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Et l'autre dit ainsi:

Beau sir, vous me donrrés dux millez franks.

Nonil dea, mon amy, mais savés vous que je vous en donrray? Vous en arés de moy pur tout ce renc .xii.c. franks.

A, mon tresdoulx sir, il m'est avys que vous estes prudres et vaillantz. Je vous die un mot: pur tout vraiment vous me donrrés .xv.c. frankes.

Non feray je, car si Dieu m'aid, je ne vous doneray plus, et uncore il m'est avys qu'il est bien chier.

Par Dieu, non est, beau sir, mes vous estes trop tenant. Mais pur ce que j'ay esperaunce que vous achaterés de moy plus des danrés en temps a venir, vous l'arés de la price que me costa, c'est assavoire .xii.c. francs, mais que vous me paiés bien.

Maintenant, mon amy, ne vous surciés, je vous paieray tresbien, s'il Dieu pleast, si que vous me donés jour de paiement jusques a la goule d'aougost.

Vraiment, sir, il ne vous displese, je ne le puisse faire sinounP20A17 [P20A17] sil noun21 q'il m'en serroit grant areresment et empiremient de mon est[at],P20A18 [P20A18] est[at] estat.21 laquele chose je pence bien que ne vouldrez my desirer que j'en fuisse [f.79r] auximent arereissé ou enpiré a cause de vous, car je doi as gentz de pais grantz sommes d'argent que j'ay enprompté d'eux jusques a Noel proschein a venir, et sur ce j'en suy obligé et tenu par une forte obligacione fait de double de paier a mesme le fest. Et se je faudray donques de mesme le paiement en partie ou en tout, je me fas fort que je serra enprisoné, et j'en su certayne que je ne m'isseray my d'illeoques avant que j'en aray trestout fait gré. Et pur ce, beau sir, je vous en pri tant chierment com je puisse que me voillés paier mon argent tout ensemble ore a ma grant necessitee sanz plus loigne dilay. Et vraiment, sir, je vous appresteray un autre foitz voluntiers derechief atant.

Hé, mon amy, ne vous corucés point, car vous arés ore la moité de l'argent, et de l'autre moité je me obligeray a vous par une obligacioneP20A31 [P20A31] obligacioñe21 de vous paier bien et loialment a fest de Saint Petre la Vincle prochein qui viendra. En vous bien agrerés donques?

J'en su bien agree, meis toutzvois j'ameroi meulx de l'avoire maintenant a ma grant busoigne que plus en delay. Mais depuis que il ne poet estre autrement, il me covient atteindre le jour de paiement.

Page 21

Et quant l'apprentiz en ara trestout achevé et accordé ovec luy, il luy dirra tout ainsi:

Mon tresdoulx amy, maintenant ces danrés sont vostres. Vraiment, vous avez de mesme la price que je les achata. Ou si: Si Dieu m'aid, vous les avés d'auxi bon marché come [f.79v] ils me costirent. Ore prennez vous biens, et je pry a Dieu q'il vous en done atant de profit et encrescement come vouldroy en avoire s'ils fuissent les miens.

Sir, grant mercy de vostre curteisie. Et se je viveraiP21A8 [P21A8] vieurai22 as deux ans, vous ne perdrés ja riens de vostre bienfait, car s'il Dieu pleist, je le vous rendray bien.

Beau sir, a Dieu vous comande.

Mon tresdoulx amy, Dieu vous ait en sa garde.

8

[Chez le ravaudeur.]

Un autre manere de parler.

Dit un vaidlet a un dubbeour des veillez drapes en ce manere:

J'en ay icy un purpoint qu'est rumpus en beaucope des lieus et auxi pur le greindre partie les cousters sount decousés. Et pur ce je vous pri chierment que vous le vuillés adubber bien et honestement pur mon argent. Et dites moy, que vuillés vous en avoir?

Par Dieu, mon amy, vous me donerez .vi. deniers a un mot, car vraiment l'overaige du tielP21A20 [P21A20] du tiel d'ycel.22 bien vault atant entre deux frers. Je le feray tresbien a point.P21A21 [P21A21tresbien a point: LH/OA ajoutent: beau sire, ainsi que vous tenrez bien agree. – Ore il parra. Et je vous empri que je l'ay dymenche prochain…22

Beu sir, ainsi que je l'ay dymenge prochiene que vient au darrains, car j'en ay grant mestier.

De par Dieu, il ne vous faudra ja de m'en parler plus, car s'il Dieu pleist, il serra donques tout prest tresbien a vostre plesir, ne vous surciés.

9

[Deux valets d'écurie.]

Une autre manere du parler.

Dit un garcion a son compaignon ainsi:

Leisse ta folieP21A28 [P21A28] ta folie ta ju a le tourpie22 maishui et va t'en a esgarder a tes chivalx, car se ton maister te troveroit icy esbatant, il te torcheroit tresbien sur la teste.

Hé, mon amy, ne te chaille.

Avysés vous donques, car je ne puisse gueirs arester.

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Ore alons.

Et s'en vont ensemble a les chivalx. Et quant ils viendront la, l'un dit a l'autre ainsi:

Mon compaignon, gardés vous bien de SorelP22A4 [P22A4] Sorerel23 quant luy vous monstrés,P22A5 [P22A5] monstrés monterez.23 car il vous frapera voluntiers. Et pur ce ne montés vous lantement, mais si ignelment come vous purrés.

Et ces deux compaignons se montent as chivalx. Et puis l'un dit [f.80r] a l'autre ainsi:

Vous estez en grant meulx monté et araiés que je ne su.

Save vostre grace, beal sir, non su je.

Et s'ent chivachent ensemble vers l'estaunc, et sitost com les chivalx ont assés bu, ils les jettont en l'eaue. Donques ils ne poent surdre se a paine non, a cause que lours garnementz sont trestoutz moilliés.P22A13 [P22A13moilliés: LH/OA ajoutent: et toilleez de boue et plains de zablon.23 Et puis se courront fort pur atteinere les chivalx, et quant ils les ont atteintz, ils les frottont tresbiene de lour bastons des les faire plus privés, et s'en chivachont a l'ostel, et puis les sechentP22A16 [P22A16les sechent: corrigé selon LH/OA les se(c)chent.23P22A16 [P22A16] les seient23 encontre le feu et s'en chaufont bien.

Donques dit l'un compaignone a l'autre:

Quoy me ne disoiés vous quant vous estiez a l'estaunc la manere et l'usage de vous chivalx? Vraiment, vous estez bien meschaunt et malveis.

Si Dieu m'aid, je ne le cogny my, quar vraiment ils n'ont pur acustume de faire, au moyns que je le vei unques.

Donques ne poent challair.P22A22 [P22A22] LH OA Doncques ne peut chaloir : Nous comprenons Donc cela ne peut importer (= l'incident est clos, n'en parlons plus).23

Ore buons un foiz et reheitons nous bien, car il nous ne profitera ja plus en plaindere.

Ore regardés, moun amy et compaignon, coment mes soliers sont tout depeciés. J'en su bien esbayse, car il n'y a encore que sis jours passés que je les avoy tout de novel. Ore me faut aler a sovetour de les adoubber et quarrir des bons quarraux et fortz et de bon cuier de boef et bien espissez q'ils me purront longement durer.

Ousteons nous ces busses et tisonnis, q'il ne purra ja estre aperceu que nous avoions de si grant feu, et sarrez vous bien le feu et alons nous esbater un poy de temps. Delivre toy donques et vien t'en se tu vuis, car je m'enP22A33 [P22A33] nen23 vais.

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10

[Différentes salutations; demander des nouvelles.]

Autre manere de parler.

Quant un homme encountra ascune a matyne, il luy dirra [f.80v] tout ainsi:

Dieu vous doigne bon matyne et bon aventure. Ou si: Sir, Dieu vous doigne bon jour et bon encountre.

Mon amy, Dieu vous doigne bon matyne et bon estrayne.

Et a mydday vous parlerés en ceste manere:

Mon seignour, Dieu vous done bon jour et bon houres. Ou si: Sir, Dieu vous benoit et la compaign[i]e.

Ou vous dirrés ainsi:P23A9 [P23A9] A pietaille, vous direz ainsi…24

Dieu vous garde. Ou si: Sta bien. Ou si: Reposez bien.

Et as overe[r]s et labourers, vous dirrés ainsi:

Dieu vous aid, mon amy. Ou si: Dieu vous avance, compaignone.

Bien soiés venu, beau sir.

Dont venés vous? Ou si: De quele partie venez vous?

Mon sir, je veigne a Aurliance.

Que noveles la?

Mon sir, y a grant debat entre les escolers, car vraiment ils ne cessent de jour en autre de combatre ensemble.

Et des queles parties sont ils?

Ils sont de Picardie et de Champanie, et les Picardes vont a mynut tout parmy la ville acust[um]ément bien armés et araiez a guys des gens d'armes portans des gelyns, espeies et haches et serchont les Champanoys de rue en rue de les racontrerP23A23 [P23A23] racontrer racontrer recontrer24 a cause de la grant hayne et annemyté q'ils ont envers eux. Et sitoust q'ils [les] ont trovés, ils se guerront ensemble si fort que c'est mervail. Et le roy les a maundé par ses letres patens de lesser sa folieP23A26 [P23A26] sa folie leur folie24 sur payne de forfair envers luy tout quanque ils ont en sa roialme, et encore ils ne vuillent cesser ne prendre plus de garde a maundement de roy que je ne feroy de la plus petite paille desoubz mes pees.

Par Nostre Dame, c'est grant despit.

Par Dieu, se je fu que le roy, je bateroye tresbien lour orguil.

Hé, mon amy, [f.81r] j'ay oblié de vous demandre un chose. Dont estes vous? Ou: De quele pays esties vous? Ou fuistes vous nee?

Mon sire, je su de Henoude.

Que dea, vous esties un Englois donques!

Nonil dea, mais nous aymons bien les Engloys a cause que les plus vaillantz seignours de ceste pais la sont de nostre linage.

Hé, mon amy, je vous en croy bien.P23A37 [P23A37je vous en croy bien: OA LH développent la fin du passage (les vœux de bonne nuit qui suivent correspondent à la fin de la scène 4 dans CD). Nous citons OA: – Hé, mon amy, je say bien ore que cils qui tient un Henuer par la main tient un Englois par le cuer.
Et quant il aprochera vers la nuyt, vous direz ainsi:
– Mon seignur, Dieu vous donne bonne vespres. Vel sic: Dieu vous donne bon soir.
– Beau filz, bon soir vous donne Deux. Et quant tu prendras congee de nully pour toute la nuyt, tu diras ainsi:
– Mon seignur, Dieu vous donne bonne nuyt.
– Bonne nuyt vous donne Dieux. Vel sic: Dieux vous conduist. Vel sic: Alez a Dieu.
Vel sic: A Dieux vous commande, car je m'en vais coucher. Et se tu vouldras trumper aucuny, ditez ainsi:
                   Dieux vous donne bonne nuyt et bon repos
                   Et beau lit et vous dehors. Vel sic:
                   Dieu vous donne aussi bon repos
                   Que vous n'aiez maishuy le cul clos.
24

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11

[Consoler un enfant.]

Ore je vous moustray la manere de parler a un enfant.

Quant vous orrés ou verrés un enfant plorer ou gemyr, vous dirrés ainsi:

Qu'as tu, mon enfant? Ou si: Qu'avés vous, mon amy? Ou si: Qui te meffait, beau fils? Ou si: Qui t'a fait plorer, beau doulx enfant?

Mon seignour, vostre petit garcion m'a ainsi froté, acraché, bufaté et batu q'il me fist sangnier la noise.

Hé, beau fils, ne vous chaille, car je l'amendray bien a point, et il serra tresbien batu sur le cuil pur l'amour de vous. Et puis il ne serra plus si hardif de vous meffair decy en avant.

Grant mercy, mon seignour.

12

[Econduire un mendiant.]

Et quant un homme povre viendra a ta maisone a demander pur Dieu de t'ailmoigne, et se ne vous vuillés lui faire ascune bien pur Dieu, vous dirrez ainsi:

Mon amy, Dieu vous face bien. Ou si: Dieu vous vuille aider, car vraiment, mon amy, se je purroy, je vous aidaisse tresvoluntiers, car il me semble que vous n'eisties pur bien heités. Dieu le vuille amendre.

Vraiment, beau sir, vous dites voir, car j'ay esté longe temps malade.

13

[Deux compagnons à l'auberge.]

La manere de parler entre compaignons que demuront ensemble en un hostel quant ils se devoint aler a coucher.

Guilliam, avez vous fait nostre lit?

Nonil, vraiment.

Hé, vraiment vous esties bien meschant, [f.81v] que nostre lit est unquore a faire. Surdés vous le cuil et alés vous faire nostre lit, je vous en pri, car je vouldray estre endormy. Ou si: … car je dormisse tresvoluntiers se je fuisse couché.

Hé, beau sir, me lessés vous chaufer bien les pees primerment, car [j']en ay grant froid.

Et coment le purrés vous dire pur honte,P24A29 [P24A29pur honte: H. Fukui (1993, l. 120) lit pour verité. En réalité, OA, LH et CD ont pour honte (PN omet ce passage).25 quant il fait si grant chaut? Anlumés la chaundelle et va traire du vin.

Alés vous mesmes se vous vuillés, car je ne bougerai ja.

Page 25

Il le meschie que vous en dorira a boire,P25A1 [P25A1] Nous comprenons: Que celui qui vous donnera à boire soit maudit …26 car je m'en irrai querre du vin pur moi mesmes et pur Janyn, et, par Dieu, se je puisse, vous ne beverés maishuy a cause de vostre malveis volunté.

Vraiment, vous esties bien malvois. Je pri a Dieu que il vous meschie.

Tois toi, senglant merdous garcion,P25A6 [P25A6senglant merdous garcion: H. Fukui (1993, l. 130) lit sanglant, hideus garçon. En réalité, OA, comme LH, PN et CD, écrit senglant merdeus garçoun.26 villain mastin, meschiant paillard que tu es, ou tu en aras des horrions que les sentiras decy as quatre jours.

Donques il luy done un bon boffe sur la jouue, ainsi disant:

Dieu met toi mal an. Quoi me respondez vous ainsi?

Et l'autre se com[en]ce a plorer et dit:

Je pri a Dieu que tu puis rumper le col avant que tu en irras hors de ciens.

Par Dieu, il fuit te meulx taiser si que tu n'as plus de damage.

Vraiment, sir, je ne suffrai ja plus estre batu de vous. J'aimasse mieulx encore demourer la ou nul homme me cognoisça qu'a reister plus loig[n]ement icy.

Hé, Guilliam, vous ne chaille, je ne vous ferai ja plus de mal. Ore buvonsP25A19 [P25A19] bions26 nous tost et alons coucher. Guilliam, ou alés vous?

Je m'en vais amont.

Beau sir, je vous en pri que vous coverés le feu primermentP25A21 [P25A21que vous coverés le feu primerment: H. Fukui (1993, l. 147) lit par moment. En réalité, tous les mss. ont primer(e)ment.26 et oustés ces busses et tisons tost et buttés les carbons et les breis ensemble et mettez desoubz les cindres, et puis nous irrons coucher.

Et puis aprés ils vont a lour [f.82r] chambur amont. Et quant ils serront la, l'un demandra a l'autre ainsi:

Ou est Briket, le petit chien, et Floret,P25A26 [P25A26Floret: Dans LH/OA, Florete est une chienne, ce qui paraît plus logique. (PN omet le passage correspondant aux lignes 24-28.)26 le petit chien?

Je ne sçai mie ou Briket est devenu, mais toutzvois Floret s'en est couché aval ov les autres chiens qui gisont en le gardein.P24A19 [P24A19] Dans PN, OA et LH, cette scène est regroupée avec la scène 23.26P25A28 [P25A28] en le gardein dessoubz les chesnes qui gisent ou jardyn26

14

[Dialogues entre commerçants.]

Autre manere de parler entre les vitailers.

Et coment tenés vous cecy?

Sir, il vault bien oet deners.

Non pas, mais je vous donray tant, et si est il chiere achaté. Pregnés l'argent se vous vuillés. Certes je ne vous doneray plus.

Page 26

Sir, preignés a vous donques, et baillez moy bon estrayne. Veraiment il vault bien vostre argent. Ore vous l'avés bon marché, et pur ce autre foiz venez a moy.

Dites, vuillez vous vendre cella?

Oy, sir, il est bon pur vous.

Dites coment le vuillez doner.

Sir, vous me donerez tant pur ce.

Non frai. Il ne vault atant. Dites a un mot coment l'aray.

Sir, vous me donerez tant.

Non fray, car il est trope. Dites que est le darrain mot de ce?

Sir, a un mot, vous ne l'arés pas miens.

Donques il regarde a un autre chose.

Ore, de quel prise est cecy?

Sir, veraiment il vault sis deniers.

Non pas a moy, mais je vous doneray cinque deniers. Tenés, un denier en erres, et a Dieu vous comande.

Sir, je ne prendray pas congé de vous.P25A29 [P25A29] Voir la scène 8.2 de la Manière de 1399.27P26A17 [P26A17je ne prendray pas congé de vous: manière de dire à bientôt?27

15

[Demander l'heure et le chemin.]

Autre manere de parler et pur demander le droit chymyne par la pays.

Beau sir, Dieu vous esploit. Dites moy se vous plaist, que heure del joure est il?

Sir, je pense que est dis.

Que dea, mettés le chapron, paillarde, com tu parles a prodome! Et dites, coment est anommé ceste ville, et ou demurt Guilliam Rorane?

Sir, il ne demourt pas icy maintenant.

Ore ou luy troveray je donques?

Sir, vous luy troverés demourant en le haut rieu a l'autre cousté del moustre.

16

[Demander une chambre à l'auberge.]

Autre manere pur demandere hostel.

Dieu garde, beale dame.

Bien soiés venu, beau sir.

Page 27

[f.82v] Dame, purroy je estre loggé ciens et avoir fein et avens et autres choses que a moy appent?

Oy, sir, je vous troveray assés ov l'aide de Dieu.

Dame, ou est le sir de ciens?

Avés vous ascune coignoissance de lui?

Oyl dea, je lui coignois tresbien.

Sir, il viendra tost, come je quide. Dites a moy, que est vostre volunté?

Dame, je vouldray parler a lui.

Vraiment, sir, il n'est pas ciens ore.

Dame, viendra il tost?

Par ma foy, sir, je ne sçai. Vous purrés a moy dire vostre volunté.

Nonil, je lui vouldroy dire moy mesmes.

Sir, amontés et vous beverés, se vous pleast.

Non fray a ceste fois, par vostre congé.

Sir, je dirray vostre message.

Dame, Dieu le vous rende.

Sir, dites a moy vostre nom.

Dame, j'ay a nom Guilliam.

Sir, en bon aventure.

Dame, vous please direP27A21 [P27A21vous please dire: Le subjonctif semble parfois remplacer le conditionnel de politesse dans la proposition interrogative (cf. aussi 56.8 vuillez vous, 56.19 vous plaise il).28 mon mesage a vostre maister?

Sir, je le fray tresvoluntiers.

Et donques quant il est alé, autre vient al port et dit a un des servantz:

Ou est la dame de ciens?

Sir, je croy que ele est en la sale.

Alés vous et faitez mon message a ele.

Sir, coment le dirray?

Dites a ele que je su cy.

Dame, il y a un homme a port que vous vouldroit en parler.

Dites a luy que je viendray tost.

Donques viene la dame a la port et dite:

Sir, vous estez bien venu.

Vostre merci, beale dame, et avés vous point d'ostel pur moy?

Sir, quantbien vuillez vous demourere?

Dame, je ne sçay mye vous dire.

Et combien vuillez vous donere pur vostre viaunde et la chambre?

Dame, que vuillez vous prendre?

Sir, nient miens que sis deniers le jour.

Page 28

Dame, je le doneray tresvoluntiers. Dame, je manderay mes choses cy.

Sir, vous serrés bien venuz.

Et quant ses choses sont venuz et aportez a la maison, il dit ainsi:

Dame, faites [f.83r] metter mes choses sus.

Sir, eles serront my en savegarde, et vous beverés devant vostre departir. Preignés le hanape.

Vous comencerés.

Non fray devant vous.

Si frés vraiment.

Par Nostre Dame, cy est bon boivre.

Sir, grant proue le vous face.P26A28 [P26A28] Voir les scènes 6.1, 7.2 et 5 de la Manière de 1399.29

17

[Recourir aux services d'un clerc.]

Autre manere de parler.

Esties vous un clerc?

Oy sir, purquoy demandés vous?

Pur ce que je vouldroy avoir une comissione de vous fait.

Sir, vous arés voluntiers.

Donques il seira et escriera un comissione en ceste manere:

'A toutz yceux qui cestes letres verront ou orront, Johan d'Orlians de Parys, salutz. Sachent toutz gentz … Ou: Conu soit a toutz gentz que je, Johan…' et cætera.

18

[Activités d'un messager.]

La manere pur demander le chymyn vers la maisone d'un chivaler en ville ou en cité tout ainsi:

Beau sir, me ditez vous se vous pleast, ou demurt mon seignour Guilliam Montendre?

Mon amy, jeP28A26 [P28A26] Mon amy, ne vous bougez, je…29 vous dirray voluntrés. Purquoy alez vous dela? Vous avez forvoié beaucope. Venez vous deça et je vous enseigneray le droit chymyn et sa meisone.Veiez vous bien ou il y a un grant moustier cy aval au but de ce reue?

Oil, sir, je le vei bien.

De par Dieu, donques, quant vous y serrez, vous troverés de l'autre costee de moustier une petit ruet que s'en va tout droit vers bys, et cele ruet vous mesneray tanque vous serrez droit en le haut rue, et donques vous

Page 29

verrez devant vous en mylieu de le haut rue deux cordelx pendantzP29A1 [P29A1]  LH OA des cordels pendans. Le passage semble décrire une sorte de fanion brodé (?) servant d'enseigne.30 as fenestres a travars le rue et la desur deux cynges currantz et esbatantz ensemble et auxi un grosse pere gisant a l'huis de la meison.

Et quant il serra pres de son hostel, enquore est il si sotP29A4 [P29A4] si soit30 q'il ne sciet mye bien droit [f.83v] aler avant, qu'il en a un autre foiz demandé la voie. Donque dit il ainsi a primer homme qu'il encontre:

Beau sir, demurt ici mon seignour Guilliam Montendre?

Oil, vraiment.

Puis s'entre leins et dit ainsi:

Ore soit Dieu. Vel sic: Dieu soit ciens. Mon seignour, Dieu vous benoit et la compaigne.

Bien soiez venu, compaignon.

Mon seignour, vostre cosyn soy recomande a vous, et il vous a envoié trois blans leverers si voluz com un ourse, bien currantz et de bon entaille et auxi trois greus si privees qu'ils se vuillentP29A15 [P29A15qu'ils se vuillent: corrigé selon le texte concordant de LH/OA/PN.30P29A15 [P29A15] quil si vuillent30 pestre a main.

Hé, vraiment, c'este un tresnoble chose et bien a mon gree. Et ditez lui, quant vous serrez venu a l'ostel, que je lui esmerci grandement de son tresnoble doneson et de sez grandez despensez qu'ore m'a envoié.

Moun seignour, il serra fait a vostre comandement.

Ore alez diner avant que vous passez.

Grant merci, mon seignour.

Et aprés diner, il prent congé du seignour ainsi:

Mon seignour, je me recomande a vous et je pri a Dieu que vous doint bone vie et loigne.

Mon amy, a Dieu vous comande. Vel sic: Dieu soit garde de vous. Vel sic: Alés a Dieu. Vel sic: A Dieu soiez. Vel sic: Dieu vous eit en sa garde.

19

[Différentes salutations en fonction de l'heure.]

Quant vous encontrez ascuny a l'ajournant, vous dirrez ainsi:

Mon amy, Dieu vous donne bon matyn et bon estrayne.

Bon matyn vous doigne Dieu, beau sir. Vel sic: Dieu vous donne bon matyn et bon encontre.

A mydy, vous parlerez ainsi:

Dieu vous donne bon jour et bons heurez.

Bon jour vous doigne Dieu et bon detinee.P29A35 [P29A35detinee glosé hap.30

Page 30

Aprés manger, vous dirrez ainsi:

Dieu vous done bones vespres, sir.

Dieu vous done bon encontre.

Et anut vous dirrez ainsi:

Sir, Dieu vous done bon soer.

Bon soer vous doint Dieux.

Et quant vous prendrez congé de nully pur tout la nut, vous dirrez ainsi:

[f.84r] Sir, Dieu vous doint bon nut et bon repos, quar je m'en irray coucher.

20

[Dialogue avec un malade; l'exemple de Job.]

Une autre manere du parler.

Dieu vous garde, mon amy.

Vous bien estez encountré, beau sir.

Qu'avez vous, mon amy?

Vraiment, sir, je sui maladez.

Hé, mon amy, se vuillez vous aler en pilrynage oveque moy pur cercher seint Denyse de Parys,P30A16 [P30A16] Saint Thomas de Canteburi.31 vous en serrez tout guarry, s'il Dieu plest.

Hé, plust a Dieu et a la virgyn Marie, mon tresdoulx sir, que je purroi aler ovesque vous, quar je m'en allisse donques tresvoluntrés. Mes vous me faut avoir pur excusee quant a present, quar mon chival me ferist devant hier si dispitousement sur la jambe destre q'il en est tout enfleez et auxi le peel rumpuz, si que je ne puisse mye aler se a peyne noun. Pur quoy j'en ay grant paour q'il deviendra un marmol; vraiment il puit plus vilainement qu'un fimers purriz tout plain de caroyne et de merde et de toutz autres ordurez et chosez puantz. Et pur ce je pense bien que je ne vivray gairs sinon que j'en ay le plus tostP30A25a [P30A25a] plust tost31 remedie.P30A25b [P30A25bremedie: OA/LH ajoutent: car se Dieu m'ait, il ne me chaudroit que je donnasse pour en estre guery.31

Hé, mon amy, ne savez vous point q'il y a un chaunçon que dit ainsi:


                   J'endure et endure[r] me faut.
                   Mal endurant ne poet durer.
                   A bien enduré rien ne faut.
                   Qi voult vivre il faut endurer.

Et ainsi vous covient suffrer et passer le temps et en tout tribulacione de loier et regracier nostre Seignour Dieu omnipotent, sicom le droiturel

Page 31

homme Job fist en sa vie, qui a tout tens fuist si prudres et humbles envers DieuP31A2 [P31A2envers Dieu: LH/OA ajoutent: sanz aucune muance ou variance et si fort enraciné en la loy de Dieu et si ferme et estable en la vray creance et foy32 que sa bouche nunquis pechat. Et ce fuist par la soverain vertu et grace que Dieu lui avoit doné, dont l'enmy en avoit si grant despit que il ne cessa de jour en autre devant q'il avoit congee et l'ottroye de Dieu de lui tempter.

Et puis aprés par fouldre, tonoir et autres [f.84v] tempestez il occist toutz ces bestezP31A7 [P31A7] pestez32 si bien priveez com savagez, c'est assavoir chivalx, jumentz, muletz, mulez, asnes, torez, boefs, bovetz, bocerelx,P31A8 [P31A8]  CD PN boterelx petits crapauds. Nous suggérons de lire bokerel jeune bouc (écrit bocerel dans un modèle commun à CD/PN?). Même dans cette hypothèse, le mot n'est pourtant pas à sa place entre les bœufs et les vaches. – juvencz: Une forme juvences se trouve dans le passage analogue de Lett & Pet 341.9 (Legge 1941). Il s'agit sans doute d'un reflet du lat. juvencus jeune bœuf (FEW 5.92a). PN donne junetes, qui se rattache apparemment au type joenete jeune animal.32P31A8 [P31A8] boterelx32 vaches, velez, juvencz, senglers, troyes, pors, porcels, porceletz, berbys, toups – id est cuillardzP31A9 [P31A9]  CD taillardz animaux châtrés (?) n'est pas un synonyme de toup bélier. Il vaut mieux lire cuillardz béliers, avec OA/LH (coillars); cf. TL 2.536, s.v. coillart.32P31A10 [P31A10] id est taillardz32 –, chastrys, berbys miere – id est oaillez –, agnelx, agnelletz, chevres, chevretz, mastins, chiens, leverez, bracees, levres, conyns, martirs, fuuyns, mustels, herizons, regnardez, loups, cerfs, biches, brocartz, dames roos, loires, ficheux, escurelx, ours, cinges, marmesetz, unicornes,P31A13 [P31A13unicornes rhinocéros. Manque dans les dictionnaires (AND, TL; le FEW ne connaît ce sens que pour le XIXe s.). On trouve pourtant unicorne rhinocéros chez Thomas of Kent (Anglo-Norman Alexander, éd. Foster 1976, l. 5477), chez Philippe de Thaon (Bestiaire, éd. Walberg 1900, l. 418), ainsi que dans le Livre de Marco Polo (éd. M. G. Pauthier, Paris 1865 [Reprint Genève 1978], chap. CXLV, pp. 569-570). Nous remercions I. Short et R. Trachsler de nous avoir rendu attentif à ces passages.32 olifantz, dromodairs, lipars, lions et lionesses.P31A6 [P31A6] CD énumère 30 animaux domestiques, PN 28; LH/OA 17. En outre, CD et PN ajoutent 24 animaux sauvages, absents dans LH/OA.32

Et quant lez messagers viendront de lui annuncier toutz ces aventures, il leva sus sez mains vers Dieu et lui en loia et regracia ainsi lui disant humblement: "Dieu l'a doné et Dieux l'a pris. Je lui regracie de toutz cez dones, quar quant il lui plerra, si lez purra bien restorer." Unquore ne voloit my l'anemy cesser de sa malice, mais tost aprés, a temps que toutz sez parentz de sa lynage seient a manger ensemble en bon paix et tranquillitee, il fist par tempest horrible la meisone tresboucher a terre, et ainsi ils furent trestoutz mortz. Et quant lez messagers viendront de lui signifier l'aventure que fuist avenuz, il en regracia Dieu devotement en disant: "Beau sir Dieux, benurés soiez tu en tes overes et faiz, quar sicom il te plust, si est il fait."

Hé, moun tresdoulx amy, purquoy ne fustez vous mye fait un frere mendivant ou un curee d'une esglise ou autrement un chapelein parochiel? Veraiment, il est grant damage que vous n'estez mye fait un clerk, quar vous eussez donques esté un soverain [f.85r] prechour.

Hé, mon amy, vous savez tresbien flatere, quar je sçay bien ore que vous mokkez de moy.

Par Nostre Dame, save vostre grace, non fais. Ore alez a Dieu, sir.

Mon tresdoulx amy, je pri a Dieu q'il vous done bone vie et longe.

Page 32

21

[Dialogue avec un voyageur français.]

La manere du parler a un estrange homme qui vient de loigne pais.

Mon tresgentil sir, Dieu vous benoit.

Mon tresdoulx amy, je pri a Dieu qu'il vous done bon encontre. Vel sic: Sir, Dieu vous benoit et la compaigne.

Beau sir, dont venez vous, se vous plest? Vel sic: De quel part venez vous, mon tresdoulx amy, mes q'il vous ne displese?

Vraiment, sir, je vien tout droit de Venys.

Hé, mon amy, c'est un ville de Lumbardie!

Oil vraiment, beau sir, si est.

Par mon serment, mon tresgentil sir, j'en ay grant joy de vous que vous estez si bien travaillé, depuis que vous estes si joefnes, quar je pense bien que vous n'avez unquore .xxx. ans.

Si ay je vraimentP32A14 [P32A14] vraimement33 et plus, mais pur ce que je su bien sains et joliet au cuer, la mercy Dieu, l'en me dit que je su plus joefnes que je ne su.

Ore sir, est Venyse une beale citee?

Oil dea, et le plus noble porte que est en tout le monde, sicom l'en m'a dit en cele pais qu'ont travaillé partout.

Et de que pais estes vous, beau sir, mes q'il ne vous displese?

Veraiment, sir, je su de France.

Et de quele ville, se vous plest?

De Parys, sir.

Vel sic:

En que pais fustez vous nee, beau sir, se vous pleast?

Veraiment, en le roialme de France.

Je vous en croi bien. Vous parlez bien et graciousement doulx franceys, et pur ce il me fait grant bien et esbatement au coer de parler ovesque vous de vostre beal langage, quar est le plus gracious parler que soit en monde et de toutz gentz meulxP32A29 [P32A29] melux33 preisés et amee que nulle [f.85v] autre. Et coment vous est avys, beau sir, de la tresbeale citee de Parys?

Veraiment, il m'est avys que je ne vie unques mais jour de ma vie si beal citee com est, toutz chosez acomptez, quar il en y atant de si beaux chasteulx, si grantz forteressez et si hautez meisons et fortez et que sount si honestment apparaillez que, se vous lez eussez veu, vous en serroiez trestout esbaiez.

Page 33

Veraiment, sir, il puit bien estre veritable ce que vous ditez. Hé, plust a Dieu et a la virgyne Marie, mon tresdoulx amy, que je sceusse si bien et graciousement parler franceys com vous savez, quar veraiment j'en fuisse donques bien aisee au coer.

Par Nostre Dame de Clery, je voudroy que vous sceussez, mais toutzvois vous parlez bien assez, ce m'est avys, qar je pense bien que vous avez demurré grant piece la, depuis que vous parlez si bien et plainement la langage.

Par seint Paul, sir, [je] n'y fuP33A9 [P33A9je n'y fu: corrigé selon le texte concordant de PN, LH, OA.34 unques mais.

Et coment savez vous parler si bien donques?

Veraiment, sir, sicom je m'ay coustumé a parler entre lez gentz de ce pays icy.

Seinte Marie, j'en su bien esbaiez. Coment vous lez purrez apprendre en ce pais? Qar vous parlez bien a droit, hardement.

Save vostre grace, non fais.

Par Dieu, si faitez bien et gentilment come se vous eussiez demurré a Parys ces .xx. ans, qar veraiment je n'oy unques mais Engloys parler franceys si bien a point ne si doucement com vous faitez, ce m'est avys toutezvoiez.

Hé, sir, je vous remerci de ce que vous me preisez plus que je ne su pas digne toutesvoies. Et pur ce je su toutzjours a vostre gentil comandement en quanque je purray faire pur l'amour de vous. Et veraiment, beau sir, vous estez tresbien venuz en ce pais. Vel sic: Par m'anme, sir, vous estez tresbien venuz ciens.

Grant merci, mon sir, de vostre grant gentrise et courteiseie.

Beau sir, fustez vous unques mes a Rouan en Normandie?

Nonil, veraiment, je ne fui unques la jour de ma vie, mais [f.86r] j'ay esté autre part en beaucope dez lieuz autrez: en Touren j'ay esté, a Bloyez et a Chantres et a Orlions auxi bien.

A Orlions? Seint M[a]rie, c'est bien pres a but de le monde, sicom l'en dit en cest pais icy.

Veraiment, sir, ils sont bien folez que le quident, quar c'est en mylieu du roialme de France.

Est Orliance une beale ville?

Oil, sir, si Dieu m'eide, la plus beale que soit en roialme de France aprés Parys. Et auxi il y a un grant estudie dez lois, qar lez plus vailla[nz] et lez plus gentils clercz que sont en cristiantee y repairent pur estudier en civil et canon.

Page 34

Mon tresdoulx amy, je vous en croy bien, mais toutzvoies j'oy dire que l'anemy y aprent sez dissiples de nigromancie en un teste d'aresme.P34A2 [P34A2un teste d'aresme: Succédané d'une tête coupée, objet de nécromancie (Gessler 1934: 95-96).35

Save vostre grace, beau sir, quar veraiment ce n'est pas voire.P34A3 [P34A3ce n'est pas voire: OA et LH ajoutent ici le dialogue suivant (graphie de OA):– Par saint Jaques, toutes voies il y avoit jadys un Englois qu'estoit fort nigromancien qui est a nom Colyn T., qui savoit faire beaucoupe des mervailles par voie de nigromancie. – Sire, ce n'est pas chose creable, mais qu'il ne vous desplaise, car je say bien que n'y fut oncques mais estude de tel fateras, mais j'oy bien dire que souleit estre entre les Espaniols mescreans et pour ce ne le croiez mie. – Sire, je vous croy bien.35

Ore alons boire, sir, se vous plest.

Grant mercy, beau sir.

Bevez a moy, je vous en pri.

Vous comencez, se vous plest.

Par Dieu, non fray.

Et puis dit l'autre, quant il a beu:

Sir, grant mercy de vous grandez biens et dispensez. Vel sic: Grant mercy de vous biens.

Il n'y a de quoy, beau sir.

Si est, veraiment, qar se je [vous] purroy jamés veoir en mon pais, je vous rendray bien la grant gentryse qu'ore m'avez fait par la grace de Dieu. Ore je me recomande a vous et je pri a Dieu q'il vous doint sanité et paix.

Mon tresgentil sir, a Dieu vous comande, qi vous doint bone vie et longe.P32A1 [P32A1] Scène commune à CD, PN, OA et LH. Dans LH, elle ne fait pourtant pas partie du corps de la Manière de 1396; cf. Introduction, p. xv.35P33A27 [P33A27] Le f. 86 est légèrement abîmé. Nous complétons les lacunes selon PN.35

22

[L'embauche d'un couturier.]

La manere de parler entre deux cousturers.

Moun tresdoulx sir, Dieu vous avance.

Bien soiez venuz, beau sir.

Ou demure le meillour cousturer de ceste ville?

Purquoy demandez vous, mon amy?

Pur ce que je voeroy avoir un bon maistere pur overer ovesque lui.

Estez vous cousturer donques?

Oil, veraiment, sir.

Vuillez vous overer ovesque moy?

Oil, sir, tresvoluntrés, se vous me vuillez doner atant com nulle autre.

QueP34A30 [P34A30] que que35 vous donorai je la semaigne?

Sir, vous me donrrez set souldz de [f.86v] P34A31 [P34A31] Le manuscrit est abîmé au bord.35[ux dene]rs et mes despensez.

Quantbien de tens pensez vous d'arester en ce ville?

Dymy ans, s'il Dieu plest.

Page 35

Que manere d'overage savez vous meulx faire?

Veraiment, il ne me chaut quele manere d'overage q'il soit, s'il soit dez hopelondez ou purpointz ou cotez.

Hardiz, entrez ciens donques et vous en avrez de moy atant com vous avez demandé.

Sir, je le vuil bien.

Mon amy, estez vous jun unquore?

Nonil, veraiment, sir, j'en ay dyné tresbien, Dieu merci.

Va donques a la dame de ciens [et] bevez ovesque ele, et puis aprés venez a vostre bosoigne.

Maister, si frai je.

23

[Deux compagnons à l'auberge.]

Une autre manere du parler entre deux compaignons qui demurrent ensamble en un hostel quant ils se deyvent aler coucher.

Guilliam, mon amy, il est haut tens pur nous aler coucher maishui.

Perot, ce fait mon, toutzvoiez.

Guilliam, va traier du vin.

Perot, alez vous mesmez se vous voillez, quar je ne bougeray mye.

Hé, Guilliam, que vous estez bien mescheant et mavois. Malourés soit il que vous en donrra a boire, quar je irray quere du vin pur Johan et pur moy mesmez, et par Dieu, se je puisse, vous ne bevrés maishui.

Et donques dit il:

Je pri a Dieu q'il vous meschie.

Et l'autre respoint et dit:

Dieu mette toy mal an, meschiant paillarde qui tu es, qar tu ne cheveras ja.

Guilliam, je vous en pri que vous serrez – ou: couvrez – bien le feu, et apportez sus en vostre chambre un chopyn de vin vermaile que nous purrons boire devant que nous en irrons coucher.P35A20 [P35A20] A la place de ces lignes, PN développe le passage (en intégrant certaines phrases que CD utilise dans les scènes 7, 9 et 13, absentes dans PN): ... vous ne boverez mayshuy a cause de vostre malvoise voulantee.
- He, Perot, je pri a Dieu que tu te peus rumpre le col avant que tu te bougeras de cy. Et donques dit Perrot a luy en ceste manere:
- Dieux met toy mal en mal an, meschant poillart que tu es, car tu n'echiveras ja. Vel sic: Je pri a Dieu que de malle faucille roillié peus tu avoir le vit coupee. Et tost aprés il luy donne sur la jouue un bon sufflet ainsi luy disant:
- Teis toy, senglant merdous garson, vilain mastin, meschant paillart cornart qui tu es.
Lors commence l'autre a plorer tres amermient et dit:
- Vrayement, j'amasse mieulx demourer l'ou nul me congnoissoit que a rester plus longuement icy.
- He, Guillam, ne vous coroucez point, car je l'amendray bien et je vous empri que vous me pardonnez vostre maltalent.
- Ore je vous pardonne.
- Guilam, bevez a moy.
- Vostre mercy.
Donques ils se boivent ensamble et aprés il dit a l'autre ainsi:
- Guilam, je vous en pri que vous oustez ces busses et tisons qu'il ne pourra ja estre aperceu que nous en avions de si graunt feu et sarrés vous bien le feu, et en la mein temps je m'en irai pour faire nostre lit, et puis aprés nous en irons dormir. Guillam, que faitez vous ?
- Vrayement, Perot, je suy bien soignous pour sarrer bien le feu.
- De par Dieu, quaunt vous l'aurez tout fait, aportez sus un chopin de vin vermaille que nous pourrons boire devaunt que nous en irons coucher.
36

Et puis aprés il vient ové le vin et dit:

Prennez le hanape et versez le pot et bevez a moy un bon trait hardiment.

Par Dieu, mon amy, si frai je.

Que da, vous m'avez malement deceu, quar vous en avez bu tout qanque il avoit. Perot, de male estraine soiez vous estraygné.

Mais Guilliam, ne [f.87r] vous chaille, quar je m'en irray quere du vi[n pour vous.]

Page 36

Et quant ils ont bu tout deux, donq dit l'une a l'autre:

Guill[iam, pour Dieu, deschausez] vous et devestez vous tost, si que nous fuissons coc[heez.]

Et puis aprés, quant ils serront cochez ensemble, l'une dit a l'autre ai[nsi:]

Trahez vous la, beau sir, quar vous suez si fort que je ne puisse pas [endurer que vous me touchez] point, et estanchez le chandele tost.

Si Dieu m'[ait, compaignon, il] ne me sovenoit point.

Hé, lez poucez me mo[rdent fort, et me font] grant male, quar vraiment, je m'ay graté le [dos si fort que le sanc] curt avalle, et pur ce je comence pur estre rey[gnous. La cher me] mange tresmalement, si me faut estre [estufee demain au] darraiens pur Dieu.

Guilliam, tesez vous et dor[meons myshuy,] mez primerment nous dirrons De profundis en l'onoure de Dieux et de [Nostre] Dame et pur lez anmes dez trespassez qui la mercy de Dieu attend[ent] en paynes de purgatorie, q'ils purront le plus tost estre relevez de lour payns a cause de nous priers et venire a la joye pardurable, laquele joie Dieux, qui maint en haut paradyse et nous rechata de son precious sanc, pur sa grant mercy et pité [n]ous ottroit en le fine, s'il lui pleast. Amen.P36A4 [P36A4] Le texte de LH/OA est meilleur. Comme l'édition de H. Fukui (1993; ll. 160-194) est criblée d'erreurs, nous reproduisons ici à notre tour le texte d'OA. Et puis il s'en vait coucher. Doncques dit il a l'autre:
– Traihez vous la, car vous estez si froit que je ne puis pas endurer que vous me touchez point. Et dormeons, pour Dieu, car j'en ay grand mestier a cause que j'ay veillee toutes ces deux nuys passez sanz dormir. Que dea, vous estez bien chaut ore que vous suez si fort.
– Hé, les puces me mordent fort et me font grand mal et damage, car je m'ay gratee le dos si fort que le sanc se coule. Et pour ce je comence a estre roignous et tout le corps me mange tresmalement. Et pour ce je m'en irai demain pour estre estufee sanz plus targer, car j'en ay tresgrande necessitee.
– Hé, Guilliam, que vous estez bien suef de corps. Pleust a Dieu que je fus si suef et si nette come vous estez.
– Hé, Perot, ne me touchez point, je vous empri, car je sui bien chatilleus.
– Hé, Guilliam, je vous chatoillerai tresbien doncques.
– Pour Dieu, beau sire, finez vous, car il est hault temps a dormir maishuy.
– Par Nostre Dame, toutevoies, cen fait mon.
– Ore ne parlons plus, doncques, mais dormions fort, et estaingnez la chandelle.
– Guilliam, Dieu vous donne bonne nuyt et bon repos et moi aussi.
– Quoy ne dions nous noz orisons sicome nous sumez acoustumee?
– Il ne me souvenoit point.
– Ore nous dirons De profundis en l'onneur de Dieu et de Nostre Dame la benoite vierge Marie sa tresdoulce miere et de tous les sains de paradis et pour les ames des trespasseez, que la mercy de Dieu attendent ou paines de pourgatoire, qu'ils pourront le plus tost estre relesseez de leur paines a cause de noz prieres et venir a la joy pardurable, laquelle joye Dieu qui maint en Trinitee sanz fin en gloire delectable et nous rechata de son precieux sanc de sa grande misericorde et pitié nous ottroit en la fin s'il lui plaist. Amen.
37


                   Ici fineP36A20a [P36A20aIci fine: A la place de l'explicit de CD, les mss. de la famille A ajoutent la dédicace reproduite dans l'Appendice (45.14-32).37 le commune parlance,P35A35 [P35A35] Le f. 87 est gravement abîmé. Les lacunes sont comblées d'après PN qui donne un texte pratiquement identique.37
                   Nulle meliour en tout le France.

Page 37

APPENDICE: LES SCÈNES DIVERGENTES DE LH

London BL Harley 3988

4.4

[Chanson à boire.]

Et puis le signeur se comence a chanter sur le chemyn la chanson qu'ensuit ou un autre que lui plaist.

Cantus patet.


[
                   Hé, hé, la bonne vinee
                   Sera cest annee
                   Pour les compaingnons.
                   Je leur ai donnee
                   Mon cuer, ma pansee,
                   Pour tant qu'ils sont bons.
                   Buvons, buvons de cest puree
                   Qui est degoutee
                   De ces morillons.
                   Chantons, dançons. Cest annee
                   Est a bien tournee;
                   Loer Dieu devons.
                   Ja feste honeurable
                   Ne verez a table
                   Se bons vins n'y sont.
                   Hé, hé, les vins delitables
                   Doulz et amiables
                   Rire et chanter font.
                   Vin fait de fait les pouvres gens riches
                   Tel fois qu'anP37A23 [P37A23] quant38 leur huches
                   Pain n'argent n'ont.
                   Bons sont. Ils font eslargir les chiechies
                   Tel fois que pour nices
                   Aprés s'entendront.
                   Quant ces jones fames
                   Avront fait leur glenes
                   Batant en leur [f.5v] maisons
                   Recordant leur game
                   Trois ou quatre ensamble
                   Iront et diront:
                   Buvons, ma voisine
                   Chascune sa chopyne
                   Plus aisés en serons.
                   Alons, alons a nostre cusineP37A37 [P37A37] curine38
                   En tresbonne estraine
                   Nous desjunerons.
                   Bonne detinee
                   Et longue duree
                   A ces vinerons
                   Qui ont labouree
                   Et la vigne plantee
                   Dont ces vins bevons.
                   Bons sont. Ils font m'amours conquestez
                   Les doulz rousees
                   Ore chanter me font.
                   Ja ces vins feront
                   Ma fame hurter la front.
                   Tan qu'elle est toumbee les piés contremont.P37A1 [P37A1] Dans OA, cette chanson ne fait pas partie de la Manière de 1396: elle se trouve au f. 372vb-372ra, alors que la Manière occupe les ff. 305-316 (cf. aussi la note 9.6-15)38]

Page 38

4.6

[Au marché; la volaille.]

Doncques je m'en irai a pulletrie pour achater des chapons, pullés, anes et des petis oisealx savages pour son soper. Hosteler, c'escoultez, je te prie primierement que tu vuis couper de boais et me faitez un bon feu, car il fait grant froit.

Et puis s'en vait a sa voie. Et quant il venra la, il demandera tout ainsi:

Biau sire, comment faitez vous de cecy? Vel sic: Belle dame, pour quantbien me donnrez vous cecy? Vel sic: Que vous donnrai je de cy? Vel sic: Quantbien me costera ces trois anes de rivere?

Sire, vous me donnrez dis deniers.

Mon amy, c'est trop chere bien pres la moitee.

Savez vous que vous ferez? Vous me donnrez pour ces trois madlardes de rivere noef deniers, car ils sont bien bons, gros et gras, et je me fais fort que vous ne mangastes, sentistes ne maniastezP38A13 [P38A13mangastes, sentistes ne maniastez: Pour Gessler (1934: 59), mangastes fait double emploi avec maniastes. OA écrit pourtant maniastez, sentistes ne mangastez. Nous comprenons donc palpâtes, goûtâtes et mangeâtes.39 au deux ans passez du millours qu'ils ne sont. [f.7v] Ore regardez, biau sire, comment ils sont rampliz du sain.

Oil dea, je le veoi bien, mais vrayement vous demandez trop.

Par la mort Dieu, biau sire, se je eusse volu, je eusse eu huy ou matinee pour mesmes les anes .x. d. Ore me croiez se vous vuillez.

Il ne vous faudra ja ainsi jurer, car je vous en croi bien a primer mot sanz plus sonner. Ore ditez moy a un mot, que paierai je?

Par ma foy, j'en avrai atant pour yceulx ou autrement je n'avrai riens.

Si Dieu m'ait, vous estes le plus cher homme ov qui j'ay marchandee cest annee, car j'en avrai aillours trois aussi bons anes comme ils sont pour sept deniers, mais il ne peut chaloir, car un autre fois je m'aviserai mieulx.

Par saint Pol, je sai bien que non avrez si bons de la price en toute ce ville, car j'en sui certain que vous ne vistes aucques mais du millours anes qu'ils ne sont.

Baillez ça doncques et veiez cy vostre argent, et a Dieu vous commande. Vel sic: Dieux vous conduist. Vel sic: A Dieu qui vous gart. Vel sic: A Dieu soiez. Vel sic: Dieux soit garde de vous.

Sire, Dieux vous donne santee et paix.

Adoncques Janyn s'en vait a l'ostel pour appareiller la viande pour la soper de son signeur. Et quant il sera venu, il fera mettre le pot sur le feu plaine d'yauue et quant il comencera a boiller, il boutera les anes dedans le pot pour eschauder. Et puis il les desplumera ignellement. Et tost aprés

Page 39

qu'il [f.8r] les avra ainsi desplumee, il les decoupera les culs et boutera ses deis dedans lez corps et oustera les bodeyns et toute l'ordure dedans et puis les lavera de l'yauue bien et honestement. Et aprés il les boutera sur une haste pour roster, et quant il sera tout prest et assés rostee, il les oustera de les hastes.

4.7

[La nuit à l'auberge; aventure galante.]

Et par cel temps sera venu le signeur a son hostel. Lors venra la dame de l'ostel ou la damoiselle et dira en ce maniere a signeur:

Mon signeur, vous estez tresbien venu. Vel sic: Mon signeur, bien soiez venu. Si vero tuizaveris aliquem, hoc modo responsionem tuam procul dubio reserabis: Bial amy, bien sois venu.

Dame, comment vous est il? Vel sic: Dame, comment faitez vous? Vel sic si sit domina: Ma dame, comment vous avez vous portee depuis que je ne vous vi mais?

Tresbien, mon signeur, Dieu mercy et la vostre? Et mieulx que je vous vei en bonne santee du corps.

Vrayement, j'en ai grant joye.

Hé, mon signeur, il y a grant piece que je ne vous vi mais.

Vrayement, m'amie, vous ditez verité. Ore, belle dame, me ditez vous, n'avez vous poynt des belles filletes comme vous soloiés avoir?

Mon signeur, s'il vous plaist, j'en ai deux tresbelles et tresbien et graciousement entaillez du corps et aussi gresles que vous les porez enpoigner entre voz deux mains.

Hé, me faitez venir devant moy tost celles filletes, car je ne descenderai ja de monP39A24 [P39A24] de de mon 40 chival avant que je les avrai veu. [f.8v]

Doncques viennent avant les filletes ou presence du signeur. Fait le signeur:

Ces sont les plus belles fames et mieulx entailliez du corps, ce m'est avis, que j'ay veu pieça, et P39A28a [P39A28a] pleust a Dieu avecque homme demourans40pleust a Dieu [que je les eusse avec moy]P39A28b [P39A28bque je les eusse avec moy: amendé selon OA.40 demourans a mon manoir de N. Je les donnroi de l'or et de l'argent et d'autres biens et chateux assés.

Doncques descent le signeur de son chival et demande les noms de les filletes et dit ainsi:

Mes tresdoulces amies, comment avez vous a noms?

Et doncques respont la plus veile pucele et dit ainsi:

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Mon signeur, s'il vous plaist, j'ay a nom Isabelle.

Puis dit l'autre:

Mon signeur, j'ay a nom Margarete.

Ore je prie a Dieu qu'il vous donne grace de bien faire. Isabelle, vien ça, vien. Vel sic: Venez a moy, ma tresdoulce amie, hardiement, car je vous promette que je ne vous fera ja de vilaynie, ains vous ferai, s'il Dieu plest, de bien et de l'oneur.

Voulantiers, mon signeur, a vostre comandement.


[

Doncques fait le signeur acoler et doulcement baiser la damoiselle en la bouche, et puis il li dit gracieusement de bon et fervent amour et par maniere d'amourasser les paroles qu'ensuient:


                   M'amie doulce et graciouse
                   De bien et de courtoisie plaintivouse
                   A qui j'ay donnee m'amours,
                   Car de toutes les floures arousee
                   Vous estez soveraine a mon gree
                   Et comme la rose entre lilie flours.

Vel sic:


                   Ma dame gentille de pourtraiture
                   En vous j'ay mis toute ma cure et m'amour
                   Et toute plaisance je vous ensure
                   Comme de toute beautee la flour.]

Et puis le signeur li mene par la main vers la sale et li dit ainsi:

Damoiselle, vous souperez avecque moy?

Grant mercy, mon signeur.

A [f.9r] doncques il appelle son varlet par nom, ainsi luy disant:

Janyn, est nostre souper tout prest encores?

Oil, mon signeur. Alez vous seoir quant vous plerra.

Fait le signeur doncques et soi regart tout environ et dit:

Que dea, encore est la table a mettre!

Et soy comence pour estre marri vers ses soubgis et siergeans, ainsi leur disant:

Malle semayne a vous soit mise tout deux. Vel sic: Je prie a Dieu qu'il vous puist mescheoir de corps, amen. Qu'avez vous fait depuis que je venoi ciens? Vous ne faitez que sounger et muser. Mettez la table tost et aportez nous une fois a boire de vin claret, ou de vin blanc, car j'en ai tresgrant soif et aussi tresgrant fain avecques.

A vostre comandement, mon signeur.

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Et quant il avra bu et la damoiselle aussi, il li dira en ce maniere:

M'amie, venez vous en, car vous seirez icy devant moy en une chaier.

Mon signeur, s'il vous plaist, non ferai.

Par Dieu, si ferez.

Vostre mercy, mon signeur.

Et puis aprés le signeur et la damoiselle seront serviz de moult bonne viande a souper. Doncques le signeur li fait tresbon chere et tresgrant desduit, ainsi li disant:

Damoiselle, que chere faitez vous?

Mon signeur, tresbon chere, Dieu mercy, et la vostre?

Vrayement, j'en ai grant joye, car vous m'estez aussi bien venuz comme aucune fame de monde, et pleust a Dieu que je eusse de viande que vous pourroit plaiser.

[Si] m'ait Dieux, mon signeur, si est assés, Dieu mercy.

Et doncques dit le signeur a la damoiselle:

Quoy ne mangez vous doncques?

Par Dieu, si fais je, mon signeur, vostre mercy.

Ore il parra. [f.9v]

Et sitost qu'ils avront soupez, le signeur comencera d'amourasser la damoiselle et pour avoir son amour et sa pucellage, il fait pour le grant brasier d'amour qu'il en a envers li le plus gracious et le plus amerous chanson qui peut estre en tout le monde, en ce maniere disant ou autrement chantant tresgracieusement:


[
                   P41A25 [P41A25] en marge: Cantus patet.42Tresdoulz regart amerousement trait
                   Tant de doulceur fera mon cuer entrer
                   Quant les miens yeulx te pevent racontrer
                   Que tout mon sang me fuit et vers toi trait.
                   Et tant me plaist ton gracious atrait
                   Que de veoir je ne me puis saouler.
                   Je t'ai pourtant si en mon cuer pourtrait
                   Qu'autre pansee ne t'en pourroit ouster.
                   Et tel plaiser fait dedans moy entrer
                   Que jamais jour tu n'en seras retrait.]

Et sic finitur cantus dulcissimus.P41A25 [P41A25] OA donne ici la chanson suivante:
                   Estrainez moy de cuer joious, ma belle,
                   Certaine souveraine, mon bien, m'amour.
                   Ma plaisance mondaine,
                   Car en moy n'a ris ne vis
                   En cest jour de l'an gracious
                   Pour allegier ma tresgrief paine. Estrainez moy et cætera
                   Et ce la doulceur de voz yeulx
                   Ne consente que je ay l'estraine
                   De vostre amour, j'averai la mort soudaine.
                   Adonques seront finez mes jours Estreinez moy et cætera
42

Page 42

Et quant le signeur avra achavee sa chanson, il parlera a la damoiselle tout courtoisement en ce maniere:

M'amie, enne ai je bien et parfaitement fait cest chanson?

Oil, vrayement, mon signeur, tresbien a poynt, car vous m'avez enravoiee tout le cuer et le sang.

Doncques prent le signeur la fillete par la main et s'affiance overtement de la foy de son corps qu'il n'avra ja autre fame que li durant sa vie, ainsi disant:

M'amie, je vous prenne icy a ma compaigne, et sur ce je vous affiance.

Et puis le signeur s'esbat et esjoit atant avecque s'amie que tout maniere de solace, desduyt et esbatement son cuer s'embat, et il donne a dame de l'ostel et a tous ses siergeans, chambreres et bais [f.10r] selletes biaucop de biaus douns, c'est a savoir a la dame de l'ostel une tresbelle ceinture de fyn soye vert,P42A15 [P42A15de fyn soie vert. OA ajoute: avec les barres desur mis, appareillié des ymages a guise d'amouretes trestout de bon or.43 et a chascun des siergeans trois souldz et quatre deniers d'esterlings, et a chascun de les baisseletes une bourse de vert velvet bien appareillié et fort cordeillee de fyn soye rouge, et dousze deniers d'esterlings. Doncques le signeur et s'amie et toute la gentille compaignie avec luy s'esbatent et esjoient atant que c'est mervailles, et le signeur comande ses escuiers et officers de l'apporter des espices et de boire. Et tost aprés viennent avant ces escuiers et officers ov grant cop de cierges bien entour cinnquant et l'aportent de tresbelles escuelles fais des pierres precieuses a guise et manere des Sarrazins, trestout plains des tous maniers des espices, et puis ils aportent de tresbonne cervoise et des bons vins, c'est a savoir vin claret, vermaille et blanc. Item de vins doucetes, comme de vin de Grece, ipocras, montrose, runney, vernage, malvoisin, osey, clarrey et pyement et de tous autres vins que l'en peut avoir, aussi des aultres boires comme de syser, poyrye et bragote. Doncques viennent avant ou presence du signeur ses corneours et clarioners ov leur fretielles et clarions, et se comencent a corner et clarioner tresfort, et puis le signeur ov ses escuiers se croulent, balent, dancent, houuent et chantent de biaux karoles sanz cesser jusques a mynuyt. Et quant ils seront trestout si entravaillez et las qu'ils ne se pourront [f.10v] ja a cel temps plus longuement dancer, lors le signeur dira a toute la gentille compaignie luy environ ainsi:

Mes amys, il est haute heure de nous aler coucher maishuy, car il est deja bien pres une heure aprés mynuyt. Et pour ce alons tost coucher, car se je fus couchee ou lit, je dormis tresvoulantiers. Et Janyn, amenez m'amie a chambre et li deschausez et devestez et que elle soit tout prest encontre ma venu pour aler coucher avec moy.

Page 43

Et puis venra le signeur et se couchera avecque s'amie en tresgrant joye et esbatement, et se comence de li baiser et acoler, et boute un de ses bras desoubz le col, et li fait trestout la courtoisie et maniere de esbatement et desduit qu'apartient au marit faire a sa fame espousee.

4.8

[Le petit déjeuner; les poissons; le départ.]

Et quant il venra au matinee, il soi levera sus bien matin et appellera tantost son chambrer par nom ainsi:

Janyn, dors tu?

Non il, mon signeur.

Que fais tu doncques?P43A5 [P43A5] cf. 16.12-14.44

Mon signeur, s'il vous plaist, je sounge.

Reveille toi de par le deable et de par sa mere ov tout. Quey ne m'as tu reveillé bien matin, comme je te comandoi hier soir?

Mon signeur, par mon serement, si fesoi je.

Hé, tu mens fausement parmy la gorge. Quelle heure est il maintenant?

Mon signeur, il n'est que bien matin encore.

Adoncques ne peut chaloir. Vel sic: Adoncques je ne fais compt. Vel sic: Doncques je ne fais force. Vel sic: Il ne m'en chaut doncques. Ore leve toy. Vel sic: Ore levez sus tost. Vel sic: Ore sourdez vous le cul tost et appareillés a diner.

Et puis le signeur soi leve et se veste de chemise, pourpoynt et de hopelande et soy chause. Et si tost qu'il sera [f.11r] tout vestu et appareillié, il soi tire a l'une costee de la chambre vers les fenestres et la endroit n'en luy donne de l'yauue a laver ses mains et luy apporte un longre de les essuer.

Et la dame de l'ostel vient avant, disant en ce maniere:

Mon signeur, comment avez vous fait a nuit? Vel sic: Coment vous avez vous portee anuyt?

Tresbien, dame, vostre mercy. Mais je fu un poy malades, car j'avoi trop bu et eveillee anuyt. Janyn, baillez ça mon pigne, que m'amie me pourra pigner la teste, et comandez mon garçon qu'il face abuvrer mes chivalx et puis les donne du fein et des aveines, et ordennez que nous aions de bon poisson assés, comme des anguilles, lampreons, lampraes, samon fraisse et saleie et aussi de carpes, bremes, roches, perches, soles, plaiz, barbels, luces, leynge, troyte, grelet, codeleynge, merlankes, hutynge, poisson saleie, platoun, espineis, carbonel, gojoun, mulet, muluel de mer, espelankes, estorjoun et turbiller, rais, tendal, geleis, crevis, rasours et

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chien du mer, porpeis avec la puree, oistrez, muscles, koc, hanon,P44A1 [P44A1koc, hanon: Un ou deux mots? L'AND (cok hanoun kind of fish, cockle (?)) hésite, tout en consacrant une entrée à hanon cockle (?). Chez Bibbesworth (ms. OA, f. 336ra), cok (glosé cokil) et hanoun (glosé muskille) sont deux mots distincts (la transcription d'A. Owen rueskill [1929: 96] est à corriger). Cf. aussi FEW 2/1.823b (coccum) et 16.143a (*hano).45 harenc blanc et sor, aussi d'esperlinge et menuz et d'autre poisson du mer et du ryvere assés.

Et si tost que tout ce viande sera prest, le signeur s'en ira seoir a table aprés qu'il avra lavee ses mains.

Et aprés manger, il demandera a la dame de l'ostel son chemyn vers tel lieu tout ainsi:

Dame, me ditez vous, quantbien y a il decy a Tamps?

Mon signeur, s'il vous plaist, il n'y a que dis lieues bien pe [f.11v] tites.

Pourrai je y estre encore nuyt?

Oil dea, mon signeur, bien aise.

Et puis quantbien y a il d'illoques a Aurilians, et quel chemyn tenrai je?

Mon signeur, vous chivalcherez tout parmy la ville de Tamps vers la porte Saint Lou, et la vous en isserez et quant vous serez bien demy lieue de la, vous y trouverez deux chemyns, une crois et une voilette. Si prendrés la plus grant chemyn et vert, et la crois vous lerrez a la main droit. Adoncques vous vous traiherés vers la foreste de Chartres, et quant vous y serez, tost aprés vous aprocherez une ville que n'en appele Biauchastel en les Prees. Et doncques vous en avrez vostre haute chemyn vers Aurilians tout droit devant vous, si que vous ne pourrez ja forvoier se non que vous vuillez.

Ore oustez la table et alons a chival tost, car il sera bien pres de nuyt avant que nous y serons loegez.

Doncques prent le signeur congé a dame, li disant ces mos:

Dame, a Dieu vous comande.

Mon signeur, je pri a Dieu qu'il vous donne bonne vie et longue et de bien faire en tous voz fais. Et grant mercy, mon signeur, de voz grans biens et courtoisies. Vel sic: Et je vous remerci, mon signeur, tresentierment de cuer des tous les bienfais, bontees et naturesses que vous m'avez fait et moustree depuis le primier temps que je vous ai conu tanqu'ença. Et Dieux me donne grace, s'il luy plaist, que je le vous pourrai rendre ou temps a venir, car vrayement, mon signeur, j'en sui tresbien tenuz.

Doncques le signeur se monte a chival et baise la fillete [f.12r] sa compaigne et li baille trent francs a paier pour ses despens et li dit courtoisement ainsi:

Page 45

Ma tresdoulce amie et treschiere compaingne, a Dieu vous comande jusques a revois. Car je m'en irai pour esbatre a Aurilians un poy de temps, mais je n'aresterai guaires.

Et puis le signeur s'en chivalche sur son chemyn et quant il venra ou mylieu de la ville, il demandera du primer homme qu'il encontrera ainsi:

Mon amy, vel sic: Biau sire, vel sic: Biau filz, quelle heure est il maintenant? Vel sic: Qu'est ce qu'a sonnee de l'oriloge? Vel sic: Quantbien a il sonnee de l'oriloge?

Mon signeur, si Dieux m'ait, je ne vous sai dire, mais je panse bien qu'il a sonnee dis, car il y a bien une heure passee depuis qu'il sonna noef.

Beau filz, a Dieu qui vous gart.

Mon signeur, je pri a Dieu q'il vous donne bonne encontre et vous beneit, saut et gart de tous perils.

24

[Lettre de l'auteur à son mécène.]

P45A14 [P45A14] Le nom de Kirvyngton qui apparaît dans LH est probablement celui du copiste, et non celui de l'auteur (cf. Lambley 1920: 35).47Pansez bien quod Kirvyngton.

Mon treshonuree et tresgentil sire, ore Dieux en soit regraciez, j'ay achevee cest traitis au reverence et instance de vous, et a mon escient je l'ai traitee et compilee sicomme j'ay entendu et apris es parties dela le mer. Et ja soit que j'ay parlee en mainte lieu oscurément et nient escienteusement fait cest bosoigne, je vous en suppli de vostre gentrise et tous ceulx qui cest livre enremirent de m'avoir escusee, car combien que je ne sui pas le plus escienteus a parler et escrire doulz françois ou romance,P45A21 [P45A21doulz françois ou romance: En général, dans les textes anglo-normands, les deux termes sont synonymes. Dans le traité d'orthographe de Coyfurelly (ms. OA), lingua romanica désigne pourtant clairement le picard (voir Kristol 1989: 363-4).47 nepourquant je l'ai fait selon cen que Dieux m'a liveree grace, raison, sens et entendement. Et vrayement, mon tresdoulz amy, s'il est bien a poynt au vostre plaisance, j'en ai grant joye. Et vous plaist savoir, biau tres doulz amy, que je sui et tous dis serai prest et appareilliez a voz tres gentils comandemens en bien et honeur sanz en faindre heure,P45A26 [P45A26sanz en faindre heure: leçon commune de LH et OB. Gessler corrige sans enfraindre heure; nous comprenons sans faillir un instant.47 s'il Dieu plaist. Et Dieux me donne grace que je vous pourrai rendre du bien et de l'oneur pour les grans biens, courtoisies et naturesses que vous m'avez fait et moustree sanz le mien desiert et encore ferez, s'il Dieu plaist, comme j'ay esperance de vous. Et je pri a nostre Signeur Dieu qu'il vous doint bonne vie et longue et [f.23r] vous en donne santee et paix aus toutz jours mais. Escript a Bury Saint Esmon en la veille de Pentecost l'an du grace mil trois cenz quatre vinz et sesze.

Page 47

LA MANIÈRE DE LANGAGE DE 1399

Oxford All Souls College 182, ff. 321va - 326va

Page 49

1

[Nominale.]

1.1

P49A1 [P49A1] Le copiste a réservé la place des rubriques au début de chaque chapitre. Il a noté la lettre prévue d'une écriture minuscule, mais sans calligraphier les rubriques.50[L'année ecclésiastique.]

Cy comence un petit livre pour enseigner les enfantz de leur entreparler comun françois. Pour ce sçachez primierement que le an est divisé en deux, c'est assçavoir le yver et la esté. Le yver a six mois et la esté atant, que vallent douse. Et ces sont ces: march, april et may sont le primier quarter de l'an; jun, julet et aoust sont le seconde quartier; septembre, octobre et novembre sont le troisiesme; decembre, janver et fevrer sont le quatriesme.

Et en chescun mois yl y a des bonnes festes, qar en march comence volentiers le Quaresme, començant par Quaresme prennant. Et luy ens est volentiers l'Anunciaçoun de Nostre Dame et Pasques fleuri et denaprés Pasques. Et april est la feste de mon seignur seint Ambroise evesque et docteur et de [f.321vb] mon seignur saint George chivalier et martyr et de mon seignur saint Marc evangelistre. En may est la feste des mes seignurs saint Phelippe et saint Jaque apostres, et la Invencion de la Sainte Crois. Et volenters l'Ascencion de Nostre Sire et le Pentecouste et la feste de la benoite Trinité. En jun est la feste de mon seignur saint Barnabé l'apostre et de mon seignur Jehan le Baptistre et des mes seignurs saint Pierre et saint Pol apostres.P49A17 [P49A17En jun…: Cette phrase a été rajoutée au bas de la page.50 En julet est la feste de ma dame sainte Margarete vierge et martire et de ma dame sainte Marie Magdalene et de mon seignur saint Jaque apostre et de ma dame sainte Anne la mere a Nostre Dame. En aoust est la feste de mon seignur saint Lorens martir et de l'Assumpcion Nostre Dame, et de mon seignur saint Bartholomeu apostre. En septembre est la nativité de Nostre Dame et l'Exaltacion de la Sainte Crois et la feste de mon seignur saint Mathieu apostre et evangelistre, et de mon seignur saint Michel archangre. En octobre est la feste de mon seignur saint Dienise et ses compaignons et de mon seignur saint Edward roy et confessour, et de mon seignur saint Luc evaungelistre et de mes seignurs saint Simon et saint Jude apostres. En novembre est la feste de Toutz Saintz et Toutez Saintez et de mon seignur saint Leonarde abbé et de mon seignur saint Martin evesque et confessour et de ma dame sainte Katerine vierge et martire et de

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mon seignur saint Andreu apostre. En decembre est la feste de mon seignur Nicholas et de la concepcion de Nostre Dame et la feste de saint Thomas apostre et Nouel. [f.322ra] En janver est la Circumcision de Nostre Sire et la Eptiphanie. En fevrer est la feste de la Chandeleur et de mon seignur saint Mathy apostre.

Et chescun mois a quatre sepmaines et chescun sepmaine a sept jours et sept nuys, c'est asçavoir lundi, maredi, mercredi, jeudi, vendredi, semmedi, dimenche, et chescun jour ové sa nuyt a vint et quatre heures.

1.2

[Les numéraux, monnaies.]

Et maintenant il fara bon d'ensaigner les enfans a conpter. Pour ce comencez ainsi enpreuf: un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, uuit, neuf, dis, onse, dous, tresze, quatorse, quinse, sesze, dis et sept, dis et uuyt, dis et neuf, vint, vint et un, vint et deux, vint et trois, vint et quatre, vint et cinq, vint et six, vint et sept, vint et uuyt, vint et neuf, trente, trente et un, trente et deux, et cætera. Quarant, quarant et un, et cætera. Cinquant, cinquant et un et cætera. Soixant, soixant et un et cætera jusques soixant et dis neuf.

Doncques di quatre vins, quatre vins et un et cætera jusques quatre vins et dis et neuf. Et doncques di cent, deux cens, trois cens, quatre cens et cætera, neuf cens, mil.

Le primier, le seconde, le trois, le quart, ou ainsi: uniesme, le deusiesme, le troisiesme, le quatriesme, le cinquiesme, le sisiesme, le septiesme, le uuytiesme, le neufiesme, le disiesme, le onsiesme, le dousiesme, le tresziesme, le quatorsiesme, le quinsiesme, le sesziesme, le disiseptiesme, le disiuuytiesme, le disi [f.322rb] neufiesme, le vintiesme, le vint et uniesme, le vint et deusiesme, et cætera, le trentiesme, le quarantiesme, le cinquantiesme, le soixantiesme, le qatrevinsiesme, le centiesme, le milliesme.

Et sçachez que deux poetevines font un maille, et deux mailles font un denier, et quatre deniers font un gros blanc, et trois blans font un soulde, et trois souldes englois font un franc, et un franc et un gros blanc font un escu, et deux escus font un noble, et deux nobles font une marc, et une marc et demy font une livre d'Angliterre, et ainsy serront rebatuz.

1.3

[Etres humains, animaux.]

Maintenant parlons de plus communs noms des choses et començons ainsi: Mon pere, ma mere, mon frere, ma soier, mon filz, ma fille, mon aiel, ma aielle, mon uncle, ma ante, mon mari, ma femme espousee, mon compai

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gnon, ma compaigne, mon amy, m'amye, mon seigneur, ma dame. Et ainsi ditez ton, ta, son et sa, le et la.

Autre maniere de parler: un homme, une femme, un enfant, une pucelle, un garçon, une garse, un valton, un valet, une chamberiere, un proud homme, une proude femme, un ribaud, une ribaude, un maquerel, une maquerelle, un putier, une putaigne, un villein, une villeine.

Un emperour, une emperesse, un roy, une roigne, un prince, une princesse, un duc, une ducesse, un conte, une contesse, un viconte, une vicontesse, un baron, une baro [f.322va] nesse,P51A9 [P51A9] boronesse52 un chivailier, une chivailieresse, un escuier, une escuieresse, un damoisel, une damoiselle, un varlet, une moilere, un laron, une larronesse, un sorcier, une sorcieresse, un murdre, une murdriere.

Pape, un patriarch, un cardinal, un arcevesque, un evesque, un arcediacre, un curé, un prestre, un chapelain, un clerc, un moigne, une nonaine, un chanoine, un frere, un religious, un seculier, un abbé, une abbesse, un prieur, une prieuresse, un jacobin, un cordeler, un frere de carme, un augustin.

Un chival, un jument, un torel, une vache, un beuf, un veel, un senglier, une truye, un porc, un porcel, un cuilart,P51A19 [P51A19] cuilarc52 une brebis, un moton, un aignel, un cog, une gelline, un oef, un poucin, un gars, une oue, un canard, une cane, une coulon, une pigon, un ouaysel, une beste, un chien, une biche, un lievr, une lievrer, un rat, un chat, une souris, un poil, un puche, une mouche, un crepoud, un serpent, un lisard, un ver.

1.4

[Habits, etc.]

Mon chapron, ma cornette, ma robe, mes draps, ma chemise, ma manche, mon chapel, ma barrette, mon gardcorps, mon purpoint, [f.322vb] ma hopelande, mon mantel, mon boton, mes braies, ma chause, mes soule[r]s, mes gans, mes polaines, mes hosiale, mes esperons, ma semelle, ma sainture, mon espee, ma lance, mon arc, ma fleche, ma sette, mon baslard, mon lit, mes lincialz, ma maison, ma chambre.

1.5

[Le corps humain.]

Mon chief, ma teste, ma greve, mes chevelz, mon hanapel, mon cervil, ma cervelle, mon haterel, mes temples, mon front, mes surcilz, mes yeux, mes cilz, la chasie, ma prunelle, mes palpebres, mon regart, ma veue, mon

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morvat,P52A1 [P52A1morvat: morve, crachat; cf. FEW 17.611b. Première attestation connue de cette forme dialectale caractéristique des parlers de l'ouest.53 mon nese, mes levres, mon palet, ma lengue, mes dens, mes maxiliers, mon menton, ma barbe, mon coul, mes nerfs, ma gorge, mes gencives, ma gargatte, mon cuer, mon poulmon, ma faie, mon feel, ma ratte, mes boialz, mon alaine, mon parler, ma poetrine, mes mamilles, mon ventre, mon nombril, mon penil, mon vit, mes coillons, ma conne, mes cuisses, mes genous, ma jambe, mon mouel, ma chevil, ma souris, mon pié, mon ortoille, mon ongle, ma plante, mon talon, mon cul, mes fesses, mon dors, ma eschine, mon cote, ma cotee, mon es [f.323ra] paule, mon blesson, mon bras, ma coude, ma main, mon poing, ma poignee, ma jalaine, mon pouce, mon nelle,P52A10 [P52A10nelle: Différents traités de français contiennent ele les envies (cf. TL 3.27): Coupét des cisours des ungles les eles (glosé þe wortewale; Bibbesworth, Tretiz, ms. BL Arundel 220, f. 305ra); Ungle, ele et urtil, (traduit Nayle, angenayle and too; Skeat 1906, v. 47). ele possède un synonyme ciele: Et ungles coupés desqes a cieles (glosé wertwales; Tretiz, ms. OA, f. 339rb); Coupez les ungles dusqe as cieles (Tretiz, ms. BL Add. 46919, f. 13va); Pouce, poynoun et les meyns, Deiez, cieles et galeyns (traduit wortwales; Skeat 1906, v. 59). A l'encontre de ce que suppose l'AND (s.v. ciele), ciele n'a donc rien à voir avec claie dos de la main (qui apparaît au v. 60 du Nominale de Skeat, glosé bak). Quant à notre forme nelle, elle doit résulter d'une agglutination du -n- de liaison entre mon et elle.53 mon doit.

1.6

[Objets divers; adjectifs, pronoms, adverbes.]

Le chemin, la rue, la pais, la ville, le champe, le bois, le pres, la arbre, la herbe, le blé, le feing, le jonc, la foerre; le feu, la yaue, le tison, la tincelle, la mere, la terre, le aier, le vent, les nues, le fouldre, la tonerre, la lune, le soulail, les estoilles; Dieux, le diable, paradis, enferre, joie, paine.

Fourment, segle, orge, avoine, feves, pois, fruit, pome, poire, nois, pain, vin, servoise, let, megue, beure, char, poisson, or, argent, plom, estaing, fer, acier, cuivre, araine, laton.

Bon, mal; grand, petit; hault, bas; sain, malade; cler, orbe, barboillé; bel, lait; long, court; navré, guelri; riche, povre; plain, vuyde; cras, meger; fres, salé; doulx, amer; egre, atrampé; blanc, noir, rouge, pers, vert, gris, vermail, brun; chaut, froit; moillé, sec; hardi, couart; couroucé, lee; chier, a bon marché; saige, sot.

Je, tu, cil; nous, vous, ceux; moy, toy, soy; me, te, se; cil, ceulx ou cilz; celle, celles; il, ils ou eulx; elle, elles; ce ou cest, ces, ceste ou cestes; la, le, les; mon, ma, mes; ton, ta, tes; [f.323rb] son, sa, ses; nostre, nous, vostre, vous, leur mesmes; mien, miens, mienne, miennes; tien, tiens, tienne, tiennes; sien, siens, sienne, siennes.

Sus, jus; avant, arriere; en costé, au bort; en hault, en bas; ciens, liens; dedens, dehors; deça, de illeques, de la; loing, pres; ycy, illeques; la, ça; par ça, par la, par cy; sus, soubz; desus, desoubz; par desus, par desoubz; oultre, parmy; jusques, auques; autour, tout environ, aileurs; anuyt, huy, maintenant, naguieres, pieça, ier, demain, mesouen, d'ores en avant; formient, belcoupe, defois, onques mais, ja, ja mais, tourjours, a tousjours mais, une fois, deulx, trois fois, ne, nemy, non, ouy, voire, donques, denaprés, coment, combien, purquoy; apertement, bellement, saigement, sotement, bonnement, mauveisement et ainsi des aultres.

Page 53

2

Aultre manier de language pour demander le droit chemin.

2.1

[Salutations; l'heure; le chemin.]

Sire, Dieu vous doint bon jour.

Dieu vous doint bon jour et bon estraine. Ou: … bon santé. Ou: …bon joie.

Dame, Dieu vous doint bonnez vespres.

Sire, vous soiez le bien venu.

Dieu vous avant, bon amy.

Dieu vous garde de mal, m'amye.

Quelle heure est il [f.323va] de jour?

Prime. Ou: Tres.P53A10 [P53A10tres: CA (Baker 1989, l. 36) donne une leçon concordante, treiz.54 Ou: Middy. Ou: Noune.

Quantez heures est il?

Entre six et sept.

Combien decy a Paris?

Douse liaues ou auques.

A il bel chemyn?

Si Dieu m'aid, entre deux.

Le chemyn est il droit?

Si Dieu m'aid, deux sire, nemy, est il bien tort.

Et ditez, quantez liaues a il decy la?

Je vous di douse ou entour.

Est il assés seur de larons?

Si m'aid Dieux, sire, nemy. Il y eut des gens robbés maintenant.

Voire?

Voire, sire, vrayement.P53A1 [P53A1] Des fragments de cette scène se trouvent également dans les mss. CA (Baker 1989: 99, ll. 34-38) et CI (Södergård 1953: 210-211).54

2.2

[Sur le chemin de Windsor.]

Ditez moy le nom de ceste ville.

[Sire, cest vile est appellé Windessore.]P53A26 [P53A26Sire, cest vile est appellé Windessore: Complété selon CI.54

Et qui est seigneur d'icelle? Ditez, ou demoure il maintenant? Et la dame, ou demoure elle? Ditez, sa fille est elle mariee?

[ Nanyl sire, par Dé.]P53A29 [P53A29Nanyl sire, par Dé: Complété selon CA.54

Ditez moy, avons nous assés du jour jusques la?

Sire, il vous fault cheminer – ou: chevaucher – fort.

Le chemyn est il assés seur?

Voir, sire, vous pouez passer assés bien.

A il point de peril des larons?

Page 54

Certez, sire, nous ne ouysme de nulle.

Et a quelle main tendrey je?

Tenez a la droite main, et donques tournés a la pote main, et donques tout fin droit.

Sire, Dieu ait en sa garde.

Dame, Dieu vous conduye.

Sire, Dieu vous avant.

Sire, bonne aventure aiez vous.

Alez achater nostre diner.

Il serra fait maintenant.P53A25 [P53A25] Cette scène se trouve aussi dans CA (Baker 1989: 99, ll. 39-54). CI n'en conserve qu'un petit fragment (Södergård 1953: 211). Par contre, CI est seul à contenir une indication de lieu précise, dont nous nous servons pour formuler le titre.55

2.3

[En route pour Canterbury.]

Que est la droite voie vers Canterbers? Ditez, a il point du peril des larrons? Et par ou purrey je passer sauvement?

Sire, il est assés [f.323vb] sauf par jour, mais e[n]contre la nuyt il est perilleus. Pour ce attendez jusques a demain. Et donques nous dejunerons ensemble. Et quant vous choses seront accompliez, donques vous vous despartirez de moy.

Dieu vous doint bonne chevauché et vous encroisse en voz marchandisez.

Alez avant en vostre chemyn, que vous puissez venir a vostre herbage, qar il convient que vous vous hastez.

Sire, Dieu vous doint bonne aventure et vous encroisse es honneurs, et vous doint tielle vie a manier que luy en soit paié, et sa tresdoulce mere, Dieu pour sa grande grace.

3

Autre manier de language a parler des bourdeus et de trufes et tensons.

3.1

[Injures et insultes.]

Mauvaise ribaud, vous mentez.

Alez, ribaud, vous pendre.

Ribaud, vous estez digne d'estre perdu.

Alez decy, senglent filz de putaigne.

Certez, pailard, vous ne eschiverez jamais.

Garçon, vous le achetrez.

Ribaud, vous baserez mon cuel.

Va, ribaud, le diable vous confonde.

Pailard, je serrey bien vengé de vous.

Page 55

3.2

[Conter fleurette à une demoiselle.]

Ditez, damoiselle, parlez a moy. Damoiselle, ou demourez vous? Voullez estre refete? Je vous ay veu aileurs. Ditez moy, que est vostre nom? Damoiselle, vuillez vous aler ovesque moy et vous serrez m'amye? Et que vous donnerey je pour estre m'amye? Damoiselle, ditez en bonne foy. Certez, vous ne averez plus pour moy.P55A1 [P55A1] Ce passage semble décalé; il fait double emploi avec le paragraphe 4.2.56

3.3

[Autres insultes.]

Va [f.324ra] ribaud, et te pens.P55A6b [P55A6bet te pens: Nous comprenons et va te pendre.56

Tu mens, faulz villein.

Paillard, vous ne eschiverez ja.

Garçon, va decy au deable.

Alez, ribaud, que Dieu vous met en mal an.

Larron, tu averas male aventure.

Villein, vous mentez, et vous le acheterez.

Ribaud, tu averas le hault gibet.

Garçon, tu seras tué de male mort.

Pailard, alez hors de ma veue.

Va decy, ville puant paillard.

Ribaud, vous baserez le cul au deable.

Larron, vous fuissez digne d'estre pendu.

Va te en a ta putaigne, de part le diable, quar vous estez bien cuillez ensemble.

Garçoun, de moy tu ne averas ja bien.

Ribaud, tu me as mal servi et ce te serra bien acquité.

Pailard, je serrey bien vengé de toy, ville taigneus que tu es.

4

Aultre maniere de language pour parler aus dames et aus damoiselles.

4.1

[Parler à une dame.]

Dame, Dieu vous garde. Dame, Dieu soit ové vous.

Sire, Dieu vous doint bon vespres.

Dame, vous soiez la bien venue.

Sire, Dieu vous doint bonne aventure.

Dame, vous soiez bien encontree.

Dame, coment vous est il?

Bien, sire, a vostre commandement, mercié soit Dieu.

Page 56

Et coment le fait vostre maistre?

Bien, sire, que bien aiez vous, loué soit Dieu.

Avez vous esté bien aise, dame?

Voire, sire, la vostre mercy.

Dame, benoit soit Dieu.

Dont venez vous?

[Sire, jeo venke de Dunbare.Sire, jeo venke de Dunbare: Complété selon CA.]

Dame, vuillez vous rien que je puisse faire?

[Oil, sire, molt la vostre mercy.Oil, sire, molt la vostre mercy: Complété selon CA.]

Dame, [f.324rb] vous le me comanderez. Dame, nostre Sire soit gardien de vous.

Sire, Dieu vous conduye.

4.2

[Faire la cour.]

Damoiselle, reposez vous bien.

Sire, grande joie vous doint Dieu.

Damoiselle, bien soiez vous trouvez. Ou fustez vous nee? Ditez moy, que est vostre nom? Damoiselle, ou demourez vous? Ditez, ou serrés vous trouvez? Damoiselle, n'avés vous point nul amy? Voulez vous estre m'amye? Damoiselle, je vous purroie bien aymer.P56A15 [P56A15] Dans CA, cette tirade intègre plusieurs éléments correspondant au paragraphe 3.2 d'OA: Damsel, bien soiez vous trové. Damsel, ou nasquistz vous - ou: …fuitz nee? Dites a moy coment avés a nome. Dites moy: Ou demurés vous? Dites moi: Ou serrez vous trové? Damysel, n'avés point nul amy? Damesel, voillés estre refaite? Damesel, jeo vous purra bien amer. Damsel, pleist vous il point vener?
57

Sire, vous plaise il a boire? Sire, je le vous donrey volentiers.

Damoiselle, a Dieu vous commande.

Sire, a Dieu.P55A26 [P55A26] Ces deux dialogues se trouvent aussi dans CA, sous le titre Une maner de langage a parler as damez et as damasels beles et cætera (Baker 1989: 98-99, ll. 1-32).57P56A12 [P56A12] Dans CA, cette scène est intitulée Ore parlons a lez damysels. La réaction de la demoiselle à la fin du passage suggère qu'il s'agit d'une serveuse d'auberge.57

5

Or parlerons en aultre maniere.

5.1

[Dialogue à l'auberge.]

Ditez, portier, ou est la dame de ciens?

Sire, en la sale ou en la chambre.

Alez, faitez mon message a elle.

Sire, coment luy direy je?

Ditez luy que je suis cy.

Ma dame, un homme vouldroit parler ové vous.

Savez vous que il est?

Oy, vous le cognoissez bien.

Ditez luy que vendrey tantost.

Dame, Dieu vous doint bon jour.

Sire, bon jour avez vous.

Dame, avez hostiel pour nous trois compaignons?

Page 57

Sire, combien longuement vuillez vous demourer?

Dame, nous ne vous sçavons pas dire.

Donques, que vuillez vous donner pour vostre table le jour?

Dame, que vuillez vous prendre pour chescun de nous?

Sire, rien mains de six deniers le jour.

Dame, nous le donrons volentiers.

Sire, par Dieu, vous soiez bien venu.

[f.324va] Doncques, dame, nous envoierons noz choses ça.

Sires, je suis bien content de vous.

Dame, faitez que noz choses soient misez sus.

Sire, elles serront misez en sauvegarde.

Ore, dame, nous irons pour noz bousoigns.

Sire, vous bevrez avant que vous voisiez.

Dame, de part Dieu.

Donque faitez le venir.

Ditez que elle nous aporte a boire.

Sire, prennez le hanape, vous comencerez.

Dame, non ferrey devant vous.

Sire, vous ferez vrayement.

Par sainte Marie, c'est bon boire.

Ore, sire, grant bien vous face il.

Ore, dame, a Dieu vous comande.

Sire, a Dieu soiez vous et cætera.P56A22 [P56A22] Cette Manière se trouve également dans CD (cf. pp. 27-28 dans cette édition), CI (Södergård 1953: 211-213) et LL (Kristol 1990/91).58

6

Aultre manier de language pour parler pour hostiel.

6.1

[Dialogue à l'auberge.]

Dieu garde la belle compaignie! Ditez, ou a il bon hostel?

Sire, la devant vous, au signe du sine.

Or Dieu soit ciens.

Sire ou dame, hostel pour charité et pour la Sainte Crois.

Sire, entrez de part Dieu.

Dame, avez vous de bon vin?

Voire, sire, belcoup.

Quel vin?

Et blanc vin et vermail.

A combien?

A sesze, a dousze, a dis, a uuyt, a six, a quatre, a deux.

Et de foing et de avoine et des aultres choses que nous apartient?

Page 58

Or, sire, vous averez assés.

Dame, coment vendez vous de la servoise?

Sire, la galon a trois mailles.

Dame, faitez atraier la servoise. Dame, faitez empler le hanap. Et portez nous des tasses et goblés pour le vin. Dame, faitez nous souper.P58A5 [P58A5Dame, faitez nous souper. CI ajoute: – Dame, fetez doner nous nostre souperz. Dame, pooms souper unquore? – Oy, si[r], vous souper[e]z tout prest. – Ore donquez, fetez vous vener de l'ewe. – Seignours, alomis laver (Södergård 1953: 217).59 Dame, faitez venir de la viande.

Or, mes seigneurs, faitez bonne chere.

[f.324vb] Dame, faitez nous venir du fourmage.P58A8 [P58A8Dame, faitez nous venir du fourmage. CI ajoute: – Dame, avez nul fruict ceins? – Cy, si[r], de pomis vous poiez aver. – Dame, pour amours lez fetes vener. Dame, avez point de noies? Se vous avez acuns, lez fetez vener.59 Dame, faitez ostre la nappe. Dame, venez conpter. Dame, combien est venu ciens?

[Sir, de certein taunt.]

Dame, prennez ce que raison est. Dame, est il pour tout paié? Dame, sont nos lis fais?

[Sire, oil.]

Or alons dormir donques.P57A24 [P57A24] La scène 6.1. se trouve aussi dans CA (Baker 1989: 99-100, ll. 54-81), sous le titre Auter maner de langgage a parlere et a mandere boun hostelle par pays. Un fragment de 6.1. est repris par CD (cf. p. 27). CI (Södergård 1953: 215-217) combine des passages provenant de 6.1. et 6.2. avec des éléments de son cru.59

6.2

[Autre dialogue à l'auberge.]

Dieu soit ciens.

Vous soiez bien venu. Que demandez vous?

Dame, pourrons nous estre logez ciens?

Oy, sire, vous avrez icy bon hostel et toutes choses que a vous partiennent. Ditez, combien des chevalx avez vous?

Dame, nous avons six chevalx.

Bien, sire, vous serrez bien eisez.

Or moustrez nous nostre chambre.

Valton – ou: garson –, va ovesque eulx.

Or, coment vous plaist il, sires?

Dame, nous sumez bien paiez.

Sire, vous ne fauldrez rien.

Moustrez nous donques de vostre servoise. Dame, coment vendez vous de ceste icy?

Sire, le galon pour trois mailles.

Dame, huchez le clerc de ciens.

Me veez cy, sire.

Es tu clerc de ciens, mon amy?

Voire, sire, mes que il vous plais.

Sa, conpter,P58A34 [P58A34Sa, conpter: Nous ne connaissons pas d'autre attestation pour cette manière de demander l'addition. Formule elliptique (Vien) ça, compter. (?)59 mon amy, et oste decy. Combien est venu ciens?

Sire, il y a en meilleur quatre deniers. Et en vin uuyt deniers, que sont dousze, et en cuissin sesze deniers, que sont deux soulds et quatre deniers, et en fruit quatre deniers, que sont deux soulds et uuyt deniers, et

Page 59

en fourmage deux deniers, et en belle chere quatre deniers, que sont trois soulds et deux deniers.

Et [f.325ra] combien a il en foigne et en avoine? Et que avras pour les litzP59A4 [P59A4] pous pour les litz60 et pour la littiere?

Sire, rien pour les litz, mais pour la litiere quatre deniers, que sont trois soulds et six deniers.

Or clerc, pren ce que raison est. Or il est tout quite maintenant?

Voir, sire, come j'enten.

Dame, sont noz litz faitz?

Oy, sire, ils sont dessus entour eulx.P59A10 [P59A10ils sont dessus entour eulx: Nous comprenons: ils (= le personnel de service ?) sont en haut, et s'en occupent.60

Dame, veez que nous [aions] bons lincialz et assés des draps, et que noz chevalx soient bien eisez.

Cleir, donnez nous a boire. Or alons nous couchier.

Sire, Dieu vous doint bonne nuyt et bon repose et bel lit et couchiez dehors.P59A14 [P59A14] Pour des vœux analogues, cf. aussi 16.33-34.60

7

Aultre manier de language pour saluer les bons gens.

7.1

[Formules de salutation.]

Sire, vous soiez le bien venu.

Sire, Dieu vous doint bonne nuyt.

Bonne nuyt vous doint Deux.

Sire, vous soiez bien encontré.

Sire, coment le faitez vous?

Sire, quelles nouvelles avez vous?

Sire, nous ne ouysmez nulles.

Sire, quant fustez a le hostel et coment le font ils en voz partiez?

7.2

[Porter un message.]

Dame, Dieu soit oveque vous.

Sire, vous soiez le bien venu.

Dame, ou est le seigneur de ciens?

Sire, il est alé hors de la ville, mais il vendra tantost, se croy je. Ditez moy, sire, vostre bousoigne.

Dame, je vouldroye parler a luy.

Vrayement, il ne y est pas.

Dame, vendra il point tost?

Page 60

Par ma alme, sire, je ne sçay.P60A1 [P60A1Par ma alme, sire, je ne sçay. LL amplifie le dialogue: – Par m'alme, sir, jeo ne say, mays jeo crie q'il ne tiendra longement hors. – Sir, voillés vous seier et attendre sa venue? – Nony, dame, qar j'ay graundement affaire endementiers.61

Sire, ditez moy vostre message.

Nemy, dame, je le luy vouldroie [f.325rb] dire moy mesmes.

Sire, vous beverez, s'il vous plaist.

Nemy, dame, quant a present.

Sire, je direy vostre messaige.

Dame, Dieu le vous rende.

Sire, ditez moy vostre nom.

Dame, je suis appellé R.

Et que est vostre surnom?

H.

Sire, en bonne heure.

Dame, je vous pri a dire mon bousoigne a vostre maistre.

Sire, je le ferrey voulentiers.

Dame, Nostre Seigneur vous ait en sa garde.P59A25 [P59A25] Cette scène se trouve aussi dans LL (Kristol 1990/91) et CD (cf. p. 27).61

7.3

[Autres formules de salutation.]

Sire, Dieu vous doint bon jour.

Sire, bon jour aiez vous et bonne vie.

Sire, bon matin vous doint Dieux.

Sire, bon matin puissez vous avoir.

Sire, Nostre Seigneur vous garde.

Dame, Dieu vous doint bonne aventure.

7.4

[Demander des nouvelles et des renseignements.]

Sire, vous soiez le bien venu.

Dame, coment le faitez vous?

Bien, sire, loué soit Dieu.

Dame, avez vous bonne santé?

Oy, sire, la vostre mercie.

Dame, il ne a de quoy, mais longuement ainsi vous tiegne Dieux.

Sire, quelles nouvelles avez vous?

Dame, mervailleuses.

Sire, ou est le roy et la roigne maintenant?

Par Dieu, dame, Dieu le sçache, je ne sçay.

Sire, ou tiendront ils leur Nouel?

Vraiement, dame,P60A33 [P60A33Vraiment, dame: Nous corrigeons pour respecter la logique du dialogue.61P60A33 [P60A33] vraiment sire61 alme nee ne sçait encore.

Page 61

Sire, quant venistez de le hostel? Et coment font toutz voz amys et amyes?

Sire, ils sont en bonne santee.

Sire, quel marché a il de blé la?

Dame, fourment a uuyt soulds le quartier. Et orge le meilleur a quatre soulds le quartier et trois deniers, et segle vault atantP61A6 [P61A6] vault avant62 et fe [f.325va] ves aussi.

Benoit soit Dieu, c'est bon marché.

Et pois et avoine vaulent atant.

Sire, combien longuement demourerez vous yci?

Dame, jusques je ay eschivé mes bousoignes.

Sire, quant irez vous a l'ostel? Sire, je vous empri, faitez mon messaige.

Si ferrey je, dame, vrayement. Ditez le moy.

Je vous empri, saluez moy toutz mes amys et toutes mes amyes.

Sire, voulez vous rien que je puisse faire?

Oy, dame, ce est grand euffre, la vostre mercy, pour moy.

Sire, vous plaist il a boire?

Nemy, dame, il serroit guasté.

Sire, je le vous en donerey volentiers et de bon cuer.

Dame, je le sçay bien, Dieu le vous rende.

Oy, sire, par ma foy que mien est, vous trouverez tout prest.P61A22 [P61A22] tant prest62

Dame, grand mercy, ce est sanz ma desert.

Nemy, sire, vraiement, je vous ay trouvé droit naturel.

Dame, Dieux amende lé faultes. Or Dieu vous ait en sa garde.P60A22 [P60A22] CA contient une version abrégée de ces scènes (Baker 1989: 101-2).62

8

Aultre maniere de language pour achetre et vendre.

8.1

[Au marché.]

Ditez, a combien cest cy? Ditez, coment le averey je?

Le vuillez vous avoir?

Voire, sire, ditez a un mot.

Sire, vous me donrez tant pour ce.

Nemy, sire, sauve vostre grace, ce est trop.

Et que me donrez vous donques?

Ditez coment le me donrez vous a droit.

Vous le averez a bon marché.

Page 62

Ditez a un mot et ne tarjez plus.

Par mon seurement, sire, vous ne le averez rien mains.

Sire, il ne vault pas le argent.

[Sir, coment le voillez vous avoire?]

Le averey je pour tant d'argentz?

Nemy, sire, il me cou [f.325vb] ste plus.

[Dites en bone foie coment l'avera jeo.]

Sire, direy je a un mot?

Voire, pour Dieu.

Par saint Jaque, vous me donrez tant. Sire, a un mot, prennez ou laissez.

Vraiement, vous ne averez plus pour moy. Prennez vostre argent si vous vuillez.

Ditez, n'avez vous point de meilleur a vendre?

Marie, sire, ce est tresbon. Et encore je vous trouverey tresmeilleur et tresbonnes denrees.

Et a combien?

[Sire, il vaut centz solides.]

[Certez, il est trope chere.]P61A27 [P61A27] CA qui présente cette scène sous le titre Auter maner de parlere de langgage de vendre et de aschatez touz chose (Baker 1989: 100-1), contient quelques répliques qui semblent manquer dans OA. Nous les ajoutons entre crochets.63P62A19 [P62A19Certez, il est trope chere. CA ajoute: – Sire, veez sy bone chose pur vous. – Ditez, coment le faitz vous? – Sire, pur vint marcs. – Mez il ne vaut pas ataunt. – Sire, me ne durrez nul mayns. – Nanyl, certez vous le faitz trope chere. – Ditez, le voillez donere pas taunt? – Certez, pur moy n'averez pluis.63

8.2

[Autre scène de marché.]

Sire, veés, j'ay tresbonne chose pour vous. Ditez, vuillez vous acheter cela?

Oy, dame, ce est tresbon pour nous. Ditez, coment le vuillez vous donner?

Sire, vous me donnez tant pour cecy.

Ditez, que est la derrain mot? Dame, a un mot, vous ne l'averez mains? Certes, vous le amez trop chierement, car il ne vault pas tant d'argent.P62A27 [P62A27tant d'argent: A cet endroit, CI/CD complètent le dialogue. Nous citons CI: – Sir, vous durrez a moy tant.
– Nony, si[r], ne vault pas tant. Ditez a un mot coment l'avera.
– Sir, coment le vueilliez vous aver?
– Ne vous durray tant d'argent.
– Certez, vous promistez trop petit.
– Ditez, qu'est le mot draine?
– Sir, a un mot ne lez averez meyns.
– Certez, le fetez trop, quar il ne vault pas tant d'argent.
63

Sire, je vous trouverey meilleur si vous vuillez.

Or moustrez moy donques.

Veés cy bonne chose pour vous.

Or, de quel pris est cest cy?

Sire, vuillez vous a un mot? Vous me donrez tant pour cest cy se vous l'avez.

Nemy, mais je vous donrey tant pour cela, et tenez un denier en arres. Certes, je ne vous donrey plus.

Or le prennez donques en bon estrein.

Page 63

Par ma foy, vous avez meilleur marché que nul aultre. Et pour ce faitez nous venir a boire, qar par ma foy, vous estez digne de le faire.

Or, a Dieu que vous garde.P62A20 [P62A20] Cette scène se trouve aussi dans CI (Södergård 1953: 213-5) et CD (cf. p. 26). Dans CD, elle est légèrement remaniée. La version la plus complète est celle de CI.64

9

Encore un aultre maniere de language pour saluer les bonnes gens dedens ou dehors ou en quel lieu q'ils soient.

9.1

[Dialogue entre maître et domestique.]

Pour [f.326ra] ce sçachiez: au matin: bon jour, a remonté: bon vespres, et a soir: bonne nuyt, sicome il s'ensuyt.

Mon seigneur, Dieu vous doint bon jour.

Tu soiez le bien venu, mon amy. Dont vien tu, mon amy?

Dont je vien, mon seigneur? Marie, je vien de Paris, la ou vous m'avez envoié.

Et quelles nouvelles, je te empri ?

Vraiement, je n'ay ouy nulles que bonnes.

Le roy, coment le fait il?

Par Dieu, sire, la mercy Dieu, tresbien.

Et la roigne aussi?

Marie, elle est en bon point, come j'ay ouy.

Et ou vas tu maintenant?

Si Dieu m'ait, sire, je vois a ma maison.

Voire?

Voire, sire, si m'ait Dieux.

Vuils tu aler anuyt?

Se je vuil aler anuyt?

Je croy que tu te moqueP63A24 [P63A24] tu te meque64 de moy.

Par saint Jasque, sire, non fois, sauve vostre grace. Mais q'il ne vous desplaise, sire, je songe en voz paroles, pour ce que je ne puis pas bien ouyr.

Fais, par saint Marie.

Sire, oy.

Je le te pardonne. Donques va te en. Dieu te conduye.

Page 64

10

Or pour saluer les bonnes gens.

10.1

[Formules de salutation; porter un message.]

Dieu vous doint bon jour, ma dame.

Dieu vous doint bon vespres, sire.

Dieu vous doint bonne nuyt, ma damoiselle. Dieu soit ciens.

Vous soiez le bien venu, sire.

Damoiselle, Dieu vous doint bon jour et bonne estreine.

Bon jour aiez vous, sire, et bonne santee.

Dame, ou est le seigneur de ciens?

Parquoy demandez vous, sire?

Marie, je ne le demande pour nul mal, mais je parlasse volenters a luy.

Vraiement, il est alé hors de la ville.

Est?

Par ma alme, [f.326rb] sire, ouy. Mais pour tant je croy q'il revendra tantost.

Fera?

Je ne sçay pour certain, mais je croy que si fera. Vuillez vous chose que je luy en puisse dire?

Vraiement, je parlasse volenters a luy.

Vraiement, sire, il ne y est pas.

Sçavez vous s'il vendra en piece?

Nemy, sire, vraiement. Ditez moy vostre message.

A quoy le vous direy je? Il ne vous profruit rien. Il me fault parler a luy de bouche.

De part Dieu, sire. Vuillez vous boire de son vin?

Nemy, dame, grant mercy quant a present.

Je vous prye que vous bevez du vin de ciens.

Vraiement, le vostre mercy, je n'ay point mestier.

Par ma foy, sire, vous le eussiez tresvolontiers. Et toutzjours serrey a vostre comandement.

Dame, la vostre treschier mercy, et pour ce que je ne le trouve pas ciens, je vous empri que vous luy diez mon messaige.

Sire, se ferey je de bon cuer. Mes non vous desplaise, je ne vous cognoiz point. Et pour ce, s'il vous plaist, ditez moy vostre nom.

Par saint Jaques, dame, non ferey je, mais a Dieu vous comande.

Sire, a Dieu soiez vous et cætera.

Page 65

11

Encore en aultre maniere a parler aus bonnes gens.

11.1

[Formules de salutation et de politesse.]

Sire, Dieu vous doint bon vespres.

Sire, bon vespres vous doint Dieux et bonne joie.

Dame, Dieu vous doint bon matin.

Sire, et a vous aussi.

Dame, Dieu vous doint bonne aventure.

Sire, Dieu vous garde de mal.

Dame, coment [f.326va] faitez vous?

Bien, sire, a vostre comandement.

En bonne foy, coment vous est il?

Dieu mercie, bien, sire; que bien aiez vous.

Dame, estez vous en bon point et bonne santee?

Par saint Jaques, sire, entre deux.

Dame, vuillez vous rien que je puisse?

Nemy, sire.

Il n'a de quoy, dame, mais s'il vous fault rien, ditez hardiment.

11.2

[Politique contemporaine; nouvelles de Paris.]

Dame, vous soiez bien trouvee.

Vraiement, sire, vous soiez bien encontré. Et quelles nouvelles, sire?

Vraiement, dame, tresmervailleuses.

Et quelles, je vous emprie?

Si me ait Dieu, dame, j'ay ouy dire que le roy d'Angliterre est osté.P65A21 [P65A21] Allusion à la destitution de Richard II par Henri, duc de Lancastre (= Henri IV, roi d'Angleterre 1399-1413), en 1399.66

Quoy, desjoie?P65A22 [P65A22desjoie (ms. desioie): Sens incertain. Nous pensons qu'il s'agit du contraire de joir jouir de ses possessions.66

Par ma alme, voir.

Et les Anglois n'ont ils point de roy donques?

Marie, ouy. Et que celuy que fust duc de Lancastre, que est nepveu a celluy que est osté.

Voire?

Voire vraiement.

Et le roygne, que fera elle?

Par Dieu, dame, je ne sçay. Je n'ay pas esté en conceille.

Et le roy d'Angliterre, ou fust il coroné?

A Westmynstre.

Fustez vous la, donques?

Page 66

Marie, oy. Il y avoit tant de presse que par un pou que ne mouru, quar a paine je eschapey a vie.

Et ou serra il a Nouuel?

Par ma foy, je ne sçay, mais l'en dit q'il serra en Escoce.

Que Dieu l'avant de faire bien. Quant venistez vous de l'ostel? A il grand piece que vous ne fustez la?

Par saint Jaques, nemy, il n'a guieres. Mais il y a grand piece que je fu a Paris.

Voir?

Par saint Jaques, oy. Je fu piecea.

Et en a il la bonnes escoles?

Par ma foy, oy. C'est une grande université, et cætera.

Page 67

LA MANIÈRE DE LANGAGE DE 1415

Cambridge Trinity College B. 14.39/40, ff. 149r - 154v

Page 69

1

[Salutations; comportement social.]

Sire,P69A1 [P69A1Sire: CT indique le début de chaque chapitre par une rubrique rouge. En outre, les changements de locuteur sont souvent marqués par un trait à l'encre rouge sur la première lettre du nouveau tour de parole. Nous signalerons par une lettrine les débuts de chapitre selon CT (qui ne coïncide pas forcément avec notre structuration du texte); par contre, nous n'avons pas jugé utile d'indiquer toutes les lettres marquées de rouge.70 boun jour.

Sire, boun jour a vous. Ou: … boun jour vous doyne Dieu.

Sire, boun matyn.

Sire, boun matyn a vous.

Sire, Dieu vous save.P69A5 [P69A5Sire, Dieu vous save: OB/CD ajoutent ici une réponse: Sire, et vous auxi, qui se répète après 69.11.70

Sire, Dieu vous benoy.

Sire, a Dieu soiez.

Sire, Dieu vous doyne bone vie et longe.

Sire, a Dieu vous comande.

Sire, Dieu vous doyne bon sanyté et bon joye.

Sire, Dieu vous garde.

Sire, et vous auxci.P69A12 [P69A12Sire, et vous auxci: LA et OB ont le même texte. CD complète: Et aprés manger vous dirrez ainsi: – Sir, bonez veprez ou bon seore. – Sir, bon seore a vous. – Sir, bon noet. – Sir, bon noet a vous doigne et bon repos. – Sir, reposez bien. Dans CT, ces vœux de bonne nuit sont insérés aux ll. 28-29.70

Sire, bon soer.

Sire, boun soer a vous.

Sire, vous estez bien encountrez.

Sire, vous estez bien venu.

Sire, Dieu vous esploite.P69A17 [P69A17Sire, Dieu vous esploite: CD ajoute: Sir, Dieu soit ové vous.70

Sire, Deu vous avaunce.P69A18 [P69A18Sire, Deu vous avaunce: CD ajoute: Sir, vostre mercie.70

Sire, prou vous face.

Sire, grantP69A20 [P69A20] gramt70 mercy.

Sire, voulez vous manger ové nous?

Non, syre, certys j'ay mangé.P69A22 [P69A22] mangere70

Sire, bevez.

Sire, comencez.

Sire, pernez le hanap.

Sire, noun pas devant vous, si vous plest, par Dieu.P69A26 [P69A26par Dieu: Le trait rouge qui marque Sire, à la ligne suivante, indique que pour CD, ce modalisateur fonctionne comme marqueur de clôture.70

Sire, ferez ore.P69A27 [P69A27Sire, ferez ore: CD ajoute ici les phrases qui correspondent aux ll. 19-20 de CT:– Sir, grand mercye. – Sir, proue vous face. Ou si: Graunde proue le vous face.70

Sire, a Dieu, bone noet.

Sire, bone noet vous doyne Dieu et boun repos.

Page 70

Sire, coment ové vous est?

Sire, le meulx pur vous, graunt merciez.

2

[La bataille d'Azincourt .]

Sire, dez queux partiez veignez vous?

Sire, je veigne dez partiez de Fraunce.

Sire, quelez novelx de par dela?

Sire, le roy est en bon point – loiez soit Dieu – ovesque toute sa compaignie en lez parties de Normandie, et il est en sanitee luy mesmes,P70A7 [P70A7luy mesmes: le -s final semble barré.71 mes plusours de sez gentz sount maladez et beaucope d'eaux sount mortz.

Et en oultre, le roy arryva illoeques joust la ville de Harfleu et avoit mys un graunt siege sur la dite ville ovesque la nombre de .lx. mille persones et parmy la grace de Dieu, il adP70A11a [P70A11a] il ad il ad71 conquys la dicte villeP70A11b [P70A11bil ad conquys la dicte ville: Assiégée par Henri V à partir du 15 août 1415, Harfleur tombe le 22 septembre 1415.71 et est remeué de la dicte seege et soy purpose pur aler vers Calays parmy la terre de Fraunce.P70A13 [P70A13parmy la terre de Fraunce: CD ajoute ici: et adonquez de illeoquez de retornere an Angletere par la grace de Dieu, phrase qui se répète la fin du prochain alinéa.71

Et puis j'ay oye dyre qu'ore tarde, lez seignours de Fraunce ovesque la nombre de .l. ou .lx. mille persones armez ount encontrez le roy par le [f.149v] chymyn, et le roy ovesque la numbre de .x. mille persones ad combatuz ovesque eaux a un lieu apellé Agincourt, a quele bataille i sount pris et tuez .xi. mille personis dez Fraunceys et sount tuez forsque .xvi. persones dez Englés,P70A19a [P70A19a.xvi. persones dez Englés: Les quatre mss. donnent le même chiffre. En réalité, les Anglais ont perdu environ 500 hommes à la bataille d'Azincourt (25 oct. 1415), contre plusieurs milliers de victimes parmi les Français.71 dount le duc d'EverwykP70A19b [P70A19ble duc d'Everwyk: Il s'agit d'Edouard, duc de York, qui a été trouvé mort après la bataille, sans être blessé, probablement victime d'un infarctus.71 estoit un et le counte de Suffolk un autre. Et le roy avoit le champe et le victorie – loiez soit Dieu – et mist toutz lez autrez Fraunceys au fewer. Et issint le roy tient soun chymynP70A21 [P70A21] soñt chymyn71 vers Calays et soy purpose de retourner en Engleterre par la grace de Dieu.

En oultre, sire, vous dy pur certeyn que lez Fraunceys que furent pris al dit bataylle Agincort, c'est assaver le duc de Orliaunce, le duc de BurbayneP70A24 [P70A24le duc de Orliaunce, le duc de Burbayne: Charles d'Orléans, qui restera prisonnier pendant 25 ans, et Jean Ier, duc de Bourbon, qui mourra en Angleterre en 1434.71 et plusours autrez countes, chivalers et esquiers vaillauntz si bien d'autrez estraungez terrez come de Fraunce, serrount anmesniez le jeody prochein aprés le feste de Seint Martyn envers Loundres. Et ils sount arrivez a Dovere, et toutz lez gentz de Kent et d'Essexe suffisaunt surrount moustrés en lour meilour array par le haut chymmyn enter Caunterbery et Londres. Et lez gentes de Loundres byen armez et arrayez eux moustrerent sur le Blakehethe pur encountrer lez ditz Fraunceys, afyn q'ils purrount veyer quele poeple sount lessez derere le roy en Engleterre pur la saufgarde de mesme le rayme.

Page 71

3

[En route pour Oxford.]

Syre, ou pensez vous chivacher anoet?

Sire, a la prochene ville, si Dieu plest.

Sire, que l'apellez la prochyin ville?

Sire, l'apellent Oxone,P71A4 [P71A4] LA Oxenford, CD OB Loundrez: Ce sont ces indications toponymiques qui distinguent les familles C et D de la Manière de 1415 (cf. aussi 72.8, 72.9, 75.30 et 76.15).72P71A4 [P71A4] Oxoner72 verement.

Sire, de celle ville [f.150r] j'ay oie parler graunde bien de moult gentz.

Sire, come bien longe decy est ycelle ville, je vous pri?

Sire, nous avouns biene .x. lewes illoeques unqore.

Ore, sire, lessomes chivacher ensemble, je vous pri, quar je pense aler – ou: chivacher – a mesme la ville, mes je ne coni pas bien le chymyn. Et si me voillez l'enseigner, j'estoiseP71A11a [P71A11aj'estoise: voir Introduction, p. xxix.72 graundement tenuz a vous, par ma foy.

Sire, volunters.P71A11b [P71A11bpar ma foy: Le trait rouge qui marque Sire, à la prochaine ligne, garantit l'utilisation de ce modalisateur comme marqueur de clôture. CD, par contre, rattache par ma foi à la prochaine phrase, qui commence ainsi: Sir, par ma fay, volentrez. 72 Et je suy treslés de vostre compaignye, mes je me doute que je ne puisse mye vous suer, quar je suy en partye malade et non pas toutz gariz unquore. Et mon chivalx est laas et cloyé devant et derere. Soun doos auxi de la seelP71A16 [P71A16] da la seel72 est blessé, et l'un oil est ousté, mes unquore il n'est pasP71A17a [P71A17a] pãs72 vougle. Et quant il vient a un fossé parfounde, moy covyent luy porter,P71A17b [P71A17bmoy covyent luy porter: La plaisanterie visait-elle à détendre l'atmosphère en classe ?72 qar certis il ne poet mye sez jambes hors de le tay lever.

Donques, sire, alomes e[n]semble en noun de Dieu et nous y vendrouns en boneP71A20 [P71A20] bene72 temps par le haut solayle, si Dieu plest.

Ore, sire, ou serromes loggez quaunt nous voignomes la?

Syre, a le Molyn sur le hopeP71A22a [P71A22aa le Molyn sur le hope: Selon le MED, hop est bien attesté en moyen anglais pour désigner l'anneau qui porte l'enseigne d'un immeuble ou d'une auberge: [his tenement called] le Cok in the houpe, [a tenement called] le Bole atte Whope, [the brewhouse at] le Hood sur le Hoop, etc. – CD OB en le haut rieu. Selon Meyer (1903: 50), la rue de Northgate correspond à la grand-rue d'Oxford (aujourd'hui Cornmarket). L'auberge à l'enseigne du moulin se serait trouvée juste en dehors de la porte du Nord (Northgate).72P71A22a [P71A22a] hõp72 en la rewe de Northyate est le meillour hostelle d'icelle ville come je suppose, qar nous y averoumes bone chier et vitaille assez pur hommez et chivachx et boun merché.

4

[Dialogues à l'auberge.]

4.1

[Dialogue avec l'aubergiste.]

Hosteller, hosteller!

Sire, sire, je su cy.

PurromezP71A27 [P71A27] purrõmz72 nous bien estre loggez cyeyns?

Certes, mes moistres, vous estez tresbienP71A28 [P71A28] trestoutz72 venuz tantostz. Combien estez vous en nombre?

Page 72

Moun amy, nous ne sumusP72A1 [P72A1sumus: Comme d'autres mss. anglais et anglo-normands, CT utilise la même abréviation - courante en latin - pour écrire -us et -es; le latinisme orthographique n'est qu'apparent.73 icy a present forsque .vi. compaignons et .iii. garçouns ovesque noef chivalx, mes y sountP72A2 [P72A2] et mes y sount73 plusours de nous conpaignons derere.

Sire, vous seriez loggez ycy bien assez tout si vous eussez .c. chivalx.

Sire, ont [f.150v] vous chivalx bew?P72A6 [P72A6Sire, ont vous chivalx bew? L'initiale de Sire est marquée d'un trait rouge. Le copiste a donc ressenti un changement de sujet. Bien que le locuteur reste le même (c'est toujours l'aubergiste qui parle), c'est une nouvelle séquence qui commence.73

Non, pas unquore, quar il sount trope chaudez pur boire, pur ce que nous avons chivaché fort de TettyswordeP72A8a [P72A8a] Tettesworþe Rouchestre Roychestre73 tanque encea. Et auxciP72A8b [P72A8b] en auxci73 nous estoions pursuez ové larons icy a Shottore,P72A9 [P72A9] Shottoure Blachethe73 et ce nous chivachs n'eussent esté le meillours et la grace de Dieu nous eust eidé, nous n'eussomes mye escapé saunz robber, mez loiez soit Dieu que nous ore sumusP72A11 [P72A11sumus: cf. 72.1n ci-dessus.73P72A11 [P72A11] fumus73 icy en savetté, quar nous y awiouns grant pour. Et pur ce lessez nous garçouns amesnere nous chivalx suys et juys en le rwe en tanque ils soient enfreydez et puiz lez eawer et laver bien profunde issint que lez estrwez et senglez soient nectez, savant lez cellez ové [lez] hernoisez secchez, et puis regardez que nous eions un bon estabile chaude et bien literez tanque a la ventre de le chivalle, quar le temps est froyde, et auxci mettés waddes de paile sek desouthe lour senglez et frotez bien lour jambys issint q'ils ne soient mye crachezP72A19 [P72A19] crachez drachez73 et puis lour donez chescun chivalx .ii. botels de feyn et .i. derrerP72A20 [P72A20] darre darrayn73 de pain.

Hosteler!

Sire?

ComentP72A23 [P72A23] comemt73 vendez vous de l'aveigne?

Sire, pur .iiii. deners le busselle.

Verement, c'est boun merché.

Ore, ou est la dame de cyens?

Syre, eleP72A27 [P72A27] Syre ila73 viendra tauntost. Ele est evesque une commere et ne demura guerres.

4.2

[Dialogue avec la patronne.]

Dame, bon soer.

Sire, vous estez tresbien venuz.

Sire, coment a vous est et coment avez vous valu depuis que vous fustez derreinement ycy?

Dame, bien, grant mercy, et le meulx que vous vaillez bien. Coment vaille vostre marytP72A33 [P72A33] moryt73 et tout vostre mesnage?

Page 73

Sire, bien – loiez soit Dieu – et le meulx pur vous.

Sire, [f.151r] vuillez vous approcher a la sale ou vuillez monterP73A2 [P73A2] mointer74 a la chamber?

Nony, dame. Nous vollons prender nostre chamber par temps. Et vollez vous nous faire a nou[s] un boun fu en le chemené pur nous rechaufer? Et baillez a nous de vostreP73A6a [P73A6avostre: Lecture incertaine; le mot est rajouté entre les lignes. Dans LA, la lecture vostre servoise ne fait aucun doute. CD et OB ont simplement un hanape de servoise.74 pain et un hanapeP73A6b [P73A6b] hanãp74 de vostre servoise pur nous rehaiter, quar nous sumus moillez et laas et nous avons chivachez a jour de huy .xl. lewes et plus, par may foy.P73A8 [P73A8par may foy: L'emploi de la couleur rouge atteste une fois de plus que pour CT, par ma foi est une formule de confirmation qui clot le tour de parole.74

Sire, c'est grant travaille pur vous qu'estez veille et maladez! Et je vous promette que vous avrez le meillour servoise cyeins qu'est en ceste ville. Et vous bevrez de mesme le pot que nostre sire bevroit c'il fuist a l'ostelle, quar je le mettray a broche pur l'amour de vous. Et si vous vuillez boire de vyn, j'envoieray a une taverneP73A13 [P73A13taverne (ms. taverier): Corrigé selon le texte concordant des trois autres mss.74P73A13 [P73A13] taverier74 joust le Quatrefukes, l'ou une pip de bon vin vermaille est novelment a broche, et a la Corne sur la hopeP73A14 [P73A14et a la Corne sur la hope (ms. ; et a la corne Sire la ho LA CD OB Corne sur le Hope): Passage corrompu dans CT. Selon les autres mss., il faut comprendre A la taverne, près du lieu-dit "les Quatrefukes", un nouveau tonneau de vin rouge vient d'être tiré, et à la taverne "à l'enseigne de la corne", vous aurez….74P73A14 [P73A14] la corne Sire la hõp74 vous averésP73A15a [P73A15a] aver averes74 de boun malvusia,P73A15b [P73A15bmalvusia (ou malmisia?): Etant donné qu'en moyen anglais on a malmesie à côté de malvesie, il est difficile de trancher. Les autres mss. ont pourtant CD LA malvesey, OB malvesy.74 romeny, bastarde, osey, tyr, vyn cret, vernage, ypocras et vyn blanc.

Ore, beele dame, qu'avrens a souper?

Sire, vous averez a soper viande assez, mez ditez a moy si vous vuillez avoir vostre viande apparaillé cyeins ou a le kewes?

Nonil, dame, en vostre cusyne demesne – ou autrement: … en le chemeney devant nous.

Syre, quel maner de viande aymé vous meulx?

Dame, fayte nous avoir dez meillours vitaillez que vous avez ou que vous purrez trover a vendre.

Sire, j'ay cyeins bouns pulcyns, chapons, gelyns, pygeons, owes, porcellezP73A26a [P73A26aporcellez (ms. porrelle): Corrigé selon les trois autres mss. Les porcelets ne sont pourtant pas à leur place dans cette énumération d'oiseaux (cf. le passage analogue de la Manière de 1396, 7.19-30). – grantz (ms. quantz): Corrigé selon les trois autres mss.74P73A26a [P73A26a] porrelle, autiez, quantz74 joefnes et gras, perdrys, plovers et autrez oyseux petitz et grantz: heyrons, fesans et cockes du boys ou videcockez, betayes,P73A27 [P73A27] LA becacez CD becoye OB betoye: La meilleure leçon est celle de LA.74 allowes, esturneux,P73A28 [P73A28] (ms. est neveux): LA esturneux CD OB esturneaux/-s.74P73A28 [P73A28] est neveux74 dez gruez [f.151v] auxi et de gryvas, et d'autre volatyl savage je ne fayle ryens, signes, malardes, columbes et pigeons. De poires et pommezP73A29 [P73A29poires et pommez: Corrigé selon les trois autres mss.74P73A29 [P73A29] poires et poĩres74 j'ay plentee; formage et noes vous ne faillerez point.


                   Et puis dez oues,P73A32 [P73A32dez oues: Ce vœu curieux est commun aux quatre mss.: LA des oefs, CD OB dez ovys.74 bone candelle
                   Et a vostre lyt une damoy[se]le beal.P73A33 [P73A33une damoysele beal: Meyer (1903: 53) croyait que la demoiselle au lit était le complément habituel de l'hospitalité telle qu'on l'entendait anciennement. Il a probablement été influencé par la scène d'auberge de la Manière de 1396 (famille A) qu'il avait publiée auparavant (cf. pp. 39-43 dans cette édition). Nous pensons que la forme rimée de la phrase (et du passage qui suit) incite plutôt à la prudence: la fin de cette scène n'est qu'une leçon apprise par cœur ou un jeu conversationnel ritualisé, comme dans d'autres vœux de bonne nuit, également rimés (cf. p. ex. Manière de 1396, pp. 16-17).74

Dame,


                   GrantP73A35a [P73A35agrant (ms. quant): Corrigé selon les trois autres mss.74 mercyP73A35b [P73A35b] quant mercy74 de vostre soper,
                   Mes de nostre lyt lessam parler,

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                   Et de nostre dyner demayn a matyn
                   Et piusP74A2 [P74A2et pius: CT utilise certaines abréviations même si cela signifie qu'il faut intervertir l'ordre des lettres. Mis à part plusieurs occurrences de pius, on trouve aussi perocz 76.2 pour porcs.75 nous irrouns nostre chymyn.

Syre,


                   Vostre lyt serra fait bien tost et bealement
                   Pur vous coucherP74A5 [P74A5] toucher75 et dormer en ycelle saunz songer et torment.
                   Dez oraillers,P74A6a [P74A6aDez oraillers: Cette phrase impaire varie légèrement dans les différents mss.: Et ainxi dez oraillers, dez plumez et lincheux, blankettz, materassez. CD OB Dez pilouez ou orilers, dez plumez et lynceux blancz, materassez75 dez plumes et lynceux blancz, materassez,
                   Coverlitz et blanketes, curtyns, tester et syllour,
                   Vous y averezP74A8 [P74A8] y averez y averez75 tout entour.

Ore, dame,


                   Grant mercy de vostre beal cheir.
                   Pernez le hanap et bevez le vyn cleir,
                   Quar a vostre congee voilloun dormer.
                   Appellez hosteler pur nous counter
                   Come bien paierome pur nous chivalx et vostre soper.

4.3

[Prendre soin des chevaux.]

Hostiller!

Syre?

Sount nous chivalx apparaillezP74A17 [P74A17] aparcullez75 pur toute la noet?

Sire, non pas unquore, mes lessez vostre garçoun venir et dire queiP74A18 [P74A18] dur quei75 de provendir ils avrount.

Johan!

Mastyr, que vuillez vous ?

As tu sopé?

Oyl, syre.

Tien le hanap et bevez une foiz, mez ne bevez mye trope haut pur doubte que vous soiez ivrez.P74A25 [P74A25] iviez75 Et puis va a l'estable et oustez lez sellez de lez chivalx et eaux correiéx et frotez biene [lour jambez].P74A26 [P74A26lour jambez: Complété selon les trois autres mss.75 Et auxci cerchez lour pees et le stoppez de coyne. Et pernez de grece et de bon servoise et lez boillezP74A28 [P74A28] voillez75 ensemble, et lavez ové ycelle toutz lour jambes. Et auxci pernez de ceefP74A29 [P74A29]  OB coef: Sens encertain. La forme pourrait se rattacher au type lexical seu / siu suif, graisse animale, bien attesté en médecine populaire (cf. T. Hunt [1990], Popular Medecine en Thirteenth-Century England, Cambridge).75 et de lyne et lé fryez ensamble en une paille veille de fere ou d'aresme, et stoppez le pee del chival gris [f.152r] qu'esteit cloié. Et pius lour donez de provendre assez, c'est asaver a chescun chival une pek d'aveyne et plus de pain si vous veiez que bosoigne soit. Et demayn levez

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bien matyn et appellez un ferrour, le meillour que purra estre trovez a la ville, et lessez lui ferrer le chivalle blanc, le chival noire, le chival sor et lez autrezP75A2 [P75A2] cror et lez autrez76 hakeneys enveyrone. Et Jakes,P75A3 [P75A3Et Jakes: Le changement d'allocutaire est souligné par un trait rouge sur le J.76 je toy promette verement, si ceste chose ne soit mye fait come je vous ay dit – ou: si je trove ascun defaute en ta persone – je toy fray coruser issint que tu compariez grevousement.

4.4

[Demander l'addition; dispositions pour le lendemain.]

Hostiller!

Syre?

Baillez cea de jettours et lessoms compter combien nous avons a la chambre et combien a l'estable.

Sir, j'ay compté ovesque vostre vadlet Guillam en la presence de sir Hughe vostre chapeleyn.

Bien; de cella je suy content. Tien ta mayn et pernez l'argent. Combien amounte trestout compté?

Sir, il amounte a .v. solz .i. dener meyns.

Ore appellez la dame et emple le hanape et bayllezP75A15 [P75A15bayllez: Meyer (1903: 54) imprime bayllez, mais indique une leçon rejetée balylez dans les notes. En réalité, CT écrit bien bayllez; Meyer semble avoir corrigé une de ses propres fautes de transcription.76 nous a boire. Faytez nous avoir lez poumes rostez et mettez de payn tosté a le feu que fra nostre beverache plus fresk.P75A17 [P75A17] frersk76

Dame,P75A18 [P75A18Dame: Le changement d'allocutaire est marqué par un trait rouge sur le D.76 bevez.

Sir,P75A18 [P75A18Sir: Meyer (1903: 54) imprime Dame, bevez, sive commencez. La lecture Sir ne fait pourtant pas l'ombre d'un doute.76 commencez.

Dame, pernez vostre hanap, par Diee.

Sir, non pas devant vous, si vous plaist.

Dame, quei avrons demain a nostre dyner?

Sire, vous avrez viande assez, coytez, rostez et pestez. Mes ditez moi vostre volunté quei vous aymerez meulx.

Dame, faitez nous avoir braun du sengler ové le mustarde, bones joutes ovesque boef, motun et porc boillez, [f.152v] et ceo sufficera pur hommes travaillantz.

4.5

[Le marché de Woodstock.]

Dame, ou est vostre maistre?

Par Diee, sire, il est alé a la feire d'une ville qu'est dys lewes decy, appellé Wodestoke.P75A30 [P75A30Wodestoke: CT et LA situent cette scène à Woodstock; CD et OB à Winchester: OB Par Dieu, sire, il est alé a la ferre d'une ville qu'est dis leueys de ci, appellé Wynchestere (graphie de OB). Or, si Woodstock se trouve bien à environ 10 lieues au nord-ouest d'Oxford, la distance entre Londres (où se trouve l'auberge selon CD et OB) et Winchester est plus grande. Le remanieur qui a transplanté la scène à Londres s'est contenté de choisir ici un autre nom de lieu commençant par W, sans corriger la distance.76

Dame, quele merchaundyze voet il vendre ou achatre illoeques?

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Sir, il ad la a vendre boefs, vaches, bovetz, veeles, tores eysnés et joefnes, porcz,P76A2a [P76A2a] perocz77 senglers, troyes, chivalx, jumentz, polayns, berbys,P76A2b [P76A2bberbys: Meyer (1903: 54) prétend que ce mot manque dans CD et lit rockes dans LA. En réalité, il y a bien berbys dans CT, et berbez dans les trois autres mss.77 motouns et berbys du mere, toups, agnelx, kedux, cheverelx, asnes, mules et autrez bestes.P76A4 [P76A4autrez bestes: CD et OB complètent: autrez bestez ou averez (graphie de CD).77

Il a auxi la pur vendre .xx. sackes, .iii. toddes, .iiii. peresP76A5 [P76A5peres: Meyer (1903: 55) lit percs et note: Sur le perc je ne suis pas renseigné. En réalité, les quatre mss. ont perez/-s.77 et .v. clowes de layne, deux centz peaux lanuz, .xiiii. draps longez et dys doszeyns de mellez d'Oxenforde, .xx. kerseys d'Abyndoun, .x. blanketz de Wytteney, .vi. rougez de Castelcombe,P76A8 [P76A8Castelcombe. Selon Meyer (1903: 55) l'industrie de laine était florissante à Castle Combe au XVe siècle.77 .iiii. russet de Colchestere scarletz, bloyes ou pers selestiens, plunketz sanguyns et violetz en greyn rayés, motlez de Sarisbury et autrez divers colours de plusours sortz pur fayre lyverees si bien as seignours, abbees et priours come as autrez gentils du pays. Il a auxci de lynge, toille, canvas ou cambre, cordes, savoun, oyle, fere, pevere, zingebreP76A13 [P76A13pevere, zingebre (ms. peverez ingebre): Meyer (1903: 55) transcrit peverez, jugebre (cette dernière forme a été accueillie par l'AND, s.v. gingembre.). Nous préférons voir une mauvaise séparation des mots par le copiste et adopter la leçon commune à LA / CD (pever, zingebre), d'autant plus qu'un pluriel de poivre fait peu de sens.77 et autrez espicerie et mercerye ataunt come lui coste .c. livres.

5

[Publicité pro domo; ce qu'apprend un élève de William of Kingsmill.]

Syre, je vous pri, ou pansez vous chivacher ore decy?

Dame, droit a Loundres,P76A15 [P76A15Loundres: Les quatre mss. donnent ici Londres, confirmation du fait qu'à l'origine les scènes d'auberge ont dû être situées à Oxford. 77 si Dieu plaist.

Sir, d'une chose je vous prieroy, si j'osasse. Ou: … fuisse si hardy.

Dame, pur l'amour de vostre maistre et de vous, je fray ce que je purray, savant moun estat, a vostre pleser.

Sir, j'ay icy un fiz de l'age de .xii. ans et, solounc vostre avys,P76A19 [P76A19solounc vostre avys: leçon commune des quatre mss.; formule de politesse si vous permettez (?).77 il est la [f.153r] voluntee de moun maistre et de moi pur lui estower a un boun homme de mestier en Loundres, la ou il purroit bien estre enseigné et governé en le manere d'apprentys illoeques.

Dame, appellez l'enfaunt et lessez moi lui veier.

Moun fiz, avez vous esté a l'escole?

Oy, syre, par vostre congé.

A quel lieu?

Syr, a l'ostelle de Will[iam] Kyngesmylle Escriven.P76A27 [P76A27Will[iam] Kyngesmylle Escriven: Seul CT fournit le nom complet de celui qui est probablement l'auteur de la Manière de 1415 (cf. Introduction, p. xxxi).77

Beau fyz, comben de temps avez vous demurrez ovesque luy?

Sire, forsque un quart de l'an.

Cella n'est que un poi temps, mes qu'avez vous apriz la en ycel terme?

Syr, moun maystre m'ad enseigné pur escrire, enditer, acompter et fraunceys parler.

Et que savez vous en fraunceys dire?

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Sir, je say moun noun et moun corps bien descriere.

Ditez moy, qu'avez a noun?


                   J'ay a noun Johan,P77A3b [P77A3bJ'ay a noun Johan: Les leçons de vocabulaire que l'enfant a apprises reposent essentiellement sur une compilation de phrases provenant du Tretiz de Bibbesworth. Nous indiquerons les vers correspondants du Tretiz selon l'édition de Rothwell 1990. – Comme Meyer et Merrilees/Sitarz, nous pensons que bon enfant est un simple épithète de Jehan, qui s'explique par les besoins de la rime, alors que certains commentateurs considèrent Bonenfaunt comme un nom propre.78 boun enfant,
                   Beal et sage et bien parlant
                   Engleys, fraunceys et boun normand.P77A5 [P77A5boun normand: La présence du normand dans ce passage s'explique probablement par les nécessités de la rime. Malgré cela, elle pourrait indiquer que les professeurs de français en Angleterre étaient - évidemment - conscients de l'originalité (et de la dignité) de leur français.78
                   Beneyt soit la verge que chaste l'enfaunt,
                   Et le boun maistre qui me pristP77A7 [P77A7prist aprist: leçon commune des quatre mss.78 taunt.
                   Je pri a Dieu tout puissant
                   Nous graunte le joye toutdiz durant.

Auxci, sire,


                   J'estoy eyr a le feste
                   Ovesque moun chief, ové moun teste,P77A12 [P77A12ové moun teste: Les trois autres mss. ont Oveque mon chief - ou: mon teste (graphie d'OB; cf. aussi Rothwell 1990: 4, v. 29).78
                   Mez chiveulx recercilez, le frount devant, le colP77A13 [P77A13col: corrigé selon les trois autres mss.78P77A13 [P77A13] cor78 derer,
                   Lez orellez, lez oillez ové le vewe clere,
                   Lez papiers et le purnele, lez surcilez, le nees, lez narrez et le
                   tendron,
                   Le bouche ové le palet amount,
                   Lez dentz, la lange, lez gyngyves, lez faulx, le jowes et le mentoun,
                   Lez lyvres desuis et desutz qu'enclosent lez dentz envyrone.
                   Le hanapel
                   Ové lez templez et le cervel,
                   Le fosselet, la gorge devant
                   La gargalette, [f.153v] la ou moun aleyne est passant.
                   Enmy le teste est le greve, le cakenole derere, la visage devant;
                   De tout le teste je n'ay cure de la remanant.
                   J'ay auxi le pys ou le pecteyne,
                   Lez espaulez, blasoun et l'eschyne,
                   Ventre, os, dos, mamels, costees, coustees, umbyl et la peel dehors
                   Que covere le vyt, lez coyllouns, le cuyl, la chaar et tout le corps.
                   En mylyeu derer mez braas
                   J'ay lez coubtez sur queux je decline quant je su laas.
                   Parentre le coubte et la cowe de ma mayn
                   J'appelle un cubyt en longuere certein.

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Sur mez mayns j'ay lez deyes ov lez ungles d'eaux cressantz, et le poyn que clost la mayn quant j'ay scié un poignoun de blee dedeins la paum.


                   Dedeins le ventre j'ay le coer ov qui je panse de moun seen
                   D'apprendre et fayre bien,
                   Boweles, entrels, foy, esplen et renoun,
                   Estomak, veyns et pulmoun,

reyns et punyl dehors, feel dedeins et vescye.


                   J'ay auxi lez jambes ov l'assure,
                   Quysseux et lez genules, nages et la forcheure,
                   Lez piés ové lez kevyls, lez urtiles, le plaunte et le taloun
                   Dount le fraunceys est comun.P77A15 [P77A15] Souvenirs remaniés du Tretiz (cf. Rothwell 1990: 4-6, vv. 39-156).79

Auxi, sir,


                   J'ay de draps qu'apparteignent a moun corps,
                   De lynges et de laynes, sengles furrez et doublez dedeins et dehors,

chausez, solers, botes ou hoseux et boteaux, chausemblez, esporons, chemyse, brays et brael, cote, purpoint et kertel, surkot, mantel, tabarde et cloke, hopelonde, chaperoun, pilion et chapelet et autre garnement ové manchez longez, largez [f.154r] et bien taillez. Et si mestier y soit, j'ay un coiffe, peigne et un keverchief de soy, de fyle et de cotoun.


                   Mes je ne vuille mye oblier
                   Ma burse ne moun aguler.
                   Et quant ma femme serrat enseyntee,
                   ele serra seintee de bone seinture,
                   S'il ne soit de soy, il serra de quyre,P78A24 [P78A24Cf. Rothwell 1990: 7, vv. 189-90.79
                   Moun dage et moun cutelle bien trenchant, la gaigne beal,
                   Espeye et bokeler d'acer fyn ov beal forure et lemel novel.
                   Mes je ne vuille mye tyrer moun espeye hors de la forure
                   Saunz graunt eye, ov cause resonable, quar l'em dit en Seint
                   Escripture:
                   "Cyl qui coveyte ferer ovesque l'espeye, par espeye il serra feruz."P78A31 [P78A31] Evangile selon St. Matthieu 25. 52.79

Auxi, beal fyz, je toy enseigneP78A32 [P78A32]  LA >Ainxi, bele fitz, j'estoy enseygné OB Auxi, beal sire, je toy enseigne. Avec Meyer (1903: 58) on peut se demander si la meilleure version n'est pas la phrase passive de LA. Il faudrait donc écrire j'étoy enseigné. L'allocutif beau fils de CT/LA s'oppose pourtant à cette interprétation. Meyer croit donc que ce passage provient d'un traité où un maître s'adressait à son élève. L'allocutif utilisé par OB et CD (sir / beal sire) est pourtant aussi plausible. Les deux interprétations restent possibles.79 de comune langage et d'autre maner de parlance,


                   Et dez divers chosez, bestez et de gaynerie,
                   Issint que de parler droit. Vous ne faillerez mye

Page 79


                   Si vous treiez a bone compaignie
                   Et guerpez lez maveys et lour folye.
                   Mes d'un homme et d'une femme ne de lour enfaunt
                   Il ne bosoigne pas pur parler taunt
                   De lour fiz, file ou filette,
                   Garsoun, pusele ou garsette,

Valetz, lowys, servantz ne lour apprentys, veysyns, maistres, soverrignez, seignours, subgitz, lour amys et bienvoillantz.P79A7 [P79A7] Dans les quatre mss., l'ordre des mots dans cette énumération a souffert. Rien ne permet de restituer une éventuelle forme rimée primitive. Dans le meilleur cas, on peut encore deviner des rimes comme apprentys : amys ou servantz : bien voillantz.9999

Auxi dez emperours, roys, dukes, countes, barons, chivalers et esquiers lessom parler.

Del pape auxi et dez ercevesques, evesques, archedekenes, denes, officials, prestres, clerkes, abbees, moignes et priours, freres et chanons, noneignies et autrez religiousez.

De la roigne auxi et de la duchesse, d'autrez damez et de la countesse, de la [f.154v] soer et sorceresse, de lez veillez, vewes et virgines, de lez ribaudes ou paillardez, putaignes, putevilez et villayns, larouns, felouns et traitours.

Autre fraunceys j'ay aprys pur un chate, un rate et un sorys; lyver, livre, levere et leverer;P79A19a [P79A19alyver, livre, levere et leverer (cf. Rothwell 1990: 4, vv. 61-66): Il s'agit en réalité de cinq mots qui prêtent à confusion: livre (poids), livre (bouquin), lièvre, lèvre et lévrier. En l'absence de gloses dans la Manière de 1415, il est impossible de déterminer quelle graphie du ms. représente quel mot français, d'autant plus que les quatre mss. ne concordent pas. CT et LA énumèrent quatre formes, CD et OB cinq (la graphie d'OB est particulièrement problématique): CT lyver, livre, levere et leverer livre, livre, lèvre / lièvre et lévrier LA livere, livere, levere et leverere livre, livre, lèvre / lièvre et lévrier CD un liver, livere, livre, levere, leverere livre, livre, lèvre, lièvre et lévrier OB un livere, livere, liver, livere, leverer livre, livre, lèvre, lièvre et lévrier 9999 aes, tables et brichetz, sceiles pur la sale, docers, bankers ouP79A20 [P79A20] blankers ou ou9999 quarreux, cheyres, aundyres, fourches de fere pur le feu, basyns, ewers et chaufours, poz et paillez d'aresme, coupes d'or, pieces ou tassez d'argent endorrez, hanaps de fraxmes ové lez coverclez peyntez,P79A19b [P79A19baes, tables…: Ce passage correspond en partie au chapitre Aménagement de la maison de la Manière de 1396 (ms. CD; cf. 5.6-10 et 16-19 dans cette édition).9999


                   Launcez de verre,
                   Hachez de guerre,
                   Coynés pour couper bastouns de keyne
                   Et coignes pur lez busshes fendre
                   Et l'argent coignee prendre.P79A25 [P79A25] Ce passage reprend un autre groupe de synonymes enseignés par le Tretiz, mais la versification a été complètement remaniée; cf. Rothwell 1990: 19, vv. 693-96.9999

Et autre armure, c'est assaver baysnet ov l'ombrere et la ventaille, plates, pesynes et habergeons, vambras, rerebras, quisseux et gauntz de plate, arkes, setes et cordes pur lez arkes.

Vesselle auxi d'argent et d'esteyne, c'est assavoir deux doszeins dez cuillers d'argent merchez ové le teste d'un libarde, .iii. douszeyns plateaux, .iii. doszeins esquiles et .iii. doszeins saucer.P79A33 [P79A33iii. doszeins saucer: Dans les quatre mss., la fin du texte est plutôt abrupte. Après les derniers mots de CT, OB ajoute simplement Amen. LA développe le dernier élément de l'énumération: .iii. dusszine saucerez bien garnisschez trestoutz, et cætera. CD conclut par les mots: iii. douszeins saucers et cætera. Explicit liber Donati.9999

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